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Sénégal : près de deux millions de fidèles réunis pour le “Grand Magal”

- En wolof, “Magal” signifie “louange” ; cette célébration marque le rang spirituel que le fondateur de la confrérie mouride, Cheikh Ahmadou Bamba, aurait atteint en 1895 lors de son exil au Gabon imposé par le pouvoir colonial français

Sénégal : près de deux millions de fidèles réunis pour le “Grand Magal”
Fatma Esma Özdel | AA
15.08.2025 – Mıse À Jour : 15.08.2025

Sénégal
AA / Touba, Sénégal / Fatma Esma Özdel

Près de deux millions de fidèles se sont rassemblées dans la ville sainte de Touba, au Sénégal, pour commémorer le rang spirituel que Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur de la confrérie mouride, aurait atteint pendant son exil imposé par les autorités coloniales françaises.

Chaque année, selon le calendrier hégirien, la confrérie célèbre le 18 du mois de Safar le “Grand Magal” (Louange), dont l’édition 2025 marque la 131ᵉ célébration. Pour l’occasion, les fidèles ont convergé vers Touba, située à environ 200 kilomètres de Dakar.

Dès les premières heures de la matinée, la ville où fut fondée la confrérie a vu affluer un nombre impressionnant de visiteurs.

Venus de tout le Sénégal mais aussi des pays où la diaspora sénégalaise est importante, comme les États-Unis, la France ou l’Italie, des centaines de milliers de pèlerins ont formé de longues files pour visiter la Grande Mosquée de Touba et le mausolée de Cheikh Ahmadou Bamba.

En wolof, “Magal” signifie “louange”. La commémoration marque l’exil de 1895 au Gabon de Cheikh Ahmadou Bamba et le degré spirituel qu’il aurait alors atteint.

Tout au long de la cérémonie, les mourides se réunissent à Touba pour réciter des prières collectives, rendre visite à leurs proches et accomplir des actes de dévotion commune.

– Une “résistance soufie” face au colonialisme français

L’islam est arrivé au Sénégal au XIᵉ siècle grâce aux commerçants et érudits religieux venus d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Puis, à partir du milieu du XIXᵉ siècle et au début du XXᵉ, les confréries se sont rapidement implantées dans le pays.

Le Sénégal se trouvait au cœur de l’entreprise coloniale menée par la France en Afrique de l’Ouest au XIXᵉ siècle.

Le territoire alors appelé “Afrique-Occidentale française”, administré depuis le Sénégal, englobait notamment le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Togo.

Bien que les autorités coloniales aient tenté d’interdire la propagation de l’islam, elles ne purent endiguer l’expansion des confréries soufies, dont la résistance pacifique déjoua ces efforts.

À la différence de l’Algérie, le Sénégal n’a pas mené de lutte armée contre la domination française. Cependant, les leaders mourides et tidjanes, ainsi que les commerçants musulmans, optèrent pour des négociations avec les colons lorsque cela servait leurs intérêts.

Dans ce contexte, la résistance non violente menée par Cheikh Ahmadou Bamba (1853-1927), fondateur du mouridisme, suscita l’hostilité des autorités françaises.

À mesure que son influence grandissait, notamment dans les zones rurales, et que la confrérie se développait, Bamba fut à plusieurs reprises exilé sous divers prétextes.

Il passa 33 années de sa vie en exil ou sous surveillance, au Sénégal et à l’étranger. Son exil au Gabon joua un rôle majeur dans l’expansion du mouridisme.

Accusé d’“incitation à la révolte”, il fut arrêté par l’armée française et envoyé en exil dans la ville côtière de Mayumba, au Gabon.

Sous surveillance stricte, il passa près de 42 mois confiné dans une église, période durant laquelle il rédigea de nombreuses œuvres religieuses.

Transféré ensuite dans le sud de la Mauritanie, Bamba ne regagna son pays qu’en 1902, mais il demeura jusqu’à sa mort soumis aux restrictions imposées par l’administration coloniale.

– L’un des plus grands événements religieux d’Afrique

Pour les disciples de Bamba, son exil ne fut pas une défaite, mais bien une victoire spirituelle, un moment qui éleva encore le rang de leur guide.

Cet exil renforça l’attachement des Sénégalais à Cheikh Ahmadou Bamba, accroissant le nombre de ses adeptes et consolidant le mouridisme comme tradition soufie sunnite profondément enracinée dans le pays.

La première célébration du Magal eut lieu un an après sa mort, en 1927, sous l’impulsion de son fils, Serigne Mouhammadou Moustapha Mbacké.

Si les premières commémorations furent modestes, le Magal est aujourd’hui considéré comme l’un des plus importants événements religieux d’Afrique.

Outre les membres de la confrérie, la manifestation attire aussi les plus hautes personnalités du pays, dont le président, le Premier ministre, des chefs d’entreprise, des artistes et même des diplomates étrangers, tous venant à Touba saluer l’actuel guide mouride, Serigne Mountakha Mbacké.

– L’alliance entre un État laïc moderne et une tradition conservatrice

Figure majeure de la lutte pour l’indépendance, Bamba est parfois surnommé par certaines sources occidentales le “Gandhi musulman”, en raison de sa résistance au colonialisme et des sacrifices qu’il a consentis.

Depuis 1960, date de son indépendance, le Sénégal s’est affirmé comme un État laïc, tout en préservant la place centrale des confréries soufies dans la vie sociale et politique.

Selon la politologue Lucy Creevey, le pays a su instaurer un équilibre solide entre l’État laïc moderne et la tradition musulmane conservatrice.

Cet équilibre expliquerait en partie pourquoi le Sénégal a été épargné par l’influence des groupes terroristes extrémistes qui touchent de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest.

Les confréries sont perçues non seulement par leurs adeptes mais aussi par une large partie de la population comme des structures sociales conciliatrices et respectées.

* Traduit du turc par Adama Bamba

Source: Agence Anadolu

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