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Mauritanie : tensions à l’Assemblée autour d’une réforme du règlement intérieur jugée liberticide

Réforme disciplinaire de l’Assemblée mauritanienne : entre contrôle des débats et accusations de dérive autoritaire. Une polarisation inédite.

Réforme du règlement intérieur –  L’Assemblée nationale mauritanienne a adopté des amendements controversés à son règlement intérieur, instaurant un régime disciplinaire plus strict envers les députés. Si les soutiens à cette réforme invoquent la nécessité de garantir l’ordre et la sérénité des débats, de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer une atteinte grave à la liberté d’expression parlementaire. Cette nouvelle configuration traduit une tension croissante entre impératif d’autorité institutionnelle et exigence de pluralisme démocratique.

L’Assemblée nationale a adopté une série d’amendements à son règlement intérieur, suscitant une importante polarisation dans l’hémicycle comme dans l’opinion publique. Ces réformes, inscrites dans les articles 80 à 84 du texte régissant la vie interne de l’institution, réorganisent les conditions d’exercice de la parole et les modalités de régulation des comportements des députés, en introduisant des sanctions codifiées allant de la confiscation de la parole à l’exclusion temporaire et à la réduction des indemnités.
D’un point de vue formel, ces amendements élargissent le périmètre disciplinaire autour d’une typologie d’actes prohibés : insultes à l’égard du président de la République, des membres du gouvernement ou des institutions constitutionnelles ; discours jugés racistes, sectaires ou incitatifs ; atteintes aux symboles religieux ; violences physiques ou verbales dans l’hémicycle ; mépris envers l’institution ou résistance à une mesure de police parlementaire. La sanction peut aller jusqu’à quatre mois d’exclusion avec privation partielle des indemnités.
Sur le plan procédural, le dispositif prévoit la suspension automatique des travaux en cas de refus d’obtempérer à un ordre d’expulsion et l’interdiction d’accès aux locaux parlementaires pour toute la durée de la sanction. L’intention déclarée est de préserver la sérénité des débats, renforcer la discipline interne et encadrer les formes d’expression jugées déstabilisantes pour le fonctionnement de l’institution.
Le soutien de la majorité présidentielle à ces dispositions s’inscrit dans une logique de stabilisation des débats, mais c’est la participation du parti Tewassoul — qui préside pourtant la Coordination de l’Opposition Démocratique — au vote final qui a suscité les plus vifs débats. Le député Saddaf Ould Adda a justifié ce choix en rappelant que ses collègues ont assisté à 37 séances de travail sur le texte, qu’ils y ont introduit des amendements notables (dont la réduction du nombre de députés requis pour créer une commission d’enquête, ramené de 30 à 12), et qu’il valait mieux, selon lui, « accompagner une réforme pour l’atténuer » que de laisser « la majorité la voter seule dans sa version initiale ».
Toutefois, plusieurs parlementaires ont exprimé publiquement leur désaccord, estimant que ces amendements dénaturent le rôle de l’Assemblée. Le député Khally Diallo a déclaré : « Ce texte transforme l’Assemblée en caserne, et viole le principe fondamental de séparation des pouvoirs.» Il a appelé à saisir le Conseil constitutionnel pour examiner la conformité du règlement à la Constitution.
De son côté, le député Mohamed Lemine Ould Sidi Maouloud a dénoncé « une vague de répression, de tyrannie et d’autoritarisme menée par un régime qui se présente comme celui du consensus national ». Il a qualifié le nouveau règlement d’« attentatoire à la parole libre des élus » et a annoncé un recours formel devant la juridiction constitutionnelle.
Le député Mohamed Bouye Ould Mohamed Fadel s’est dit stupéfait de voir le principal groupe parlementaire de l’opposition voter en faveur du texte, affirmant que « le parlement a été tué » et qu’il « ne reste plus qu’à réorienter son budget vers des usages plus utiles que des séances d’exclusion ».
La députée Mariem Mint Cheikh a, quant à elle, souligné l’atteinte portée au droit à la parole garanti par l’article 90 de la Constitution : « Ce nouveau règlement réduit encore davantage les marges de manœuvre des députés. Qu’en reste-t-il du rôle de contrôle parlementaire ? »
Dans un langage plus direct, la députée Ghamou Achour a déclaré : « Je ne me tairai pas, qu’on m’exclue ou qu’on m’emprisonne. Je continuerai à dire qu’un ministre traître est un traître, et qu’un ministre voleur est un voleur. »
Le député Yahya Ould Eloud a estimé que le texte adopté est « encore plus mauvais que le précédent», ajoutant que « les ministères dits de souveraineté ne répondent plus aux questions des députés, se considérant au-dessus de l’Assemblée».
Ces propos illustrent une rupture interprétative quant à la nature même de l’Assemblée : pour certains, elle devrait être un espace de conflictualité démocratique protégé par l’immunité parlementaire ; pour d’autres, elle doit se doter d’un cadre disciplinaire clair pour éviter les dérapages susceptibles de nuire à sa crédibilité institutionnelle.
Il convient également de noter que ce clivage n’a pas été strictement partisan : au-delà de la ligne majorité/opposition, des divisions internes sont apparues dans les différents groupes, entre députés favorables à une régulation renforcée et ceux attachés à une conception extensive de la liberté parlementaire.
Ces amendements ne doivent pas être lus uniquement comme un durcissement réglementaire ni comme un progrès normatif univoque. Ils traduisent une reconfiguration du champ parlementaire, marquée par la coexistence de deux logiques : celle de l’ordre institutionnel et celle de la pluralité expressive. L’Assemblée devient ainsi le lieu d’un arbitrage permanent entre discipline et liberté, entre autorité procédurale et expression démocratique — un équilibre toujours fragile, toujours à réinterpréter.

Mohamed Ould Echriv Echriv

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