CultureAccueil |Thématiques sociales

Reconnaître l’histoire, bâtir la nation

Débat sur l’identité des Haratines en Mauritanie : entre mémoire douloureuse et citoyenneté partagée, comment reconnaître l’histoire sans figer les différences et bâtir une nation réconciliée ?

Reconnaître l’histoire, bâtir la nation
Il y a quelques jours, une publication de mon ami Sidi Soueid’Ahmed sur Facebook m’a interpellé. Dans un texte dense, il plaidait pour que la Mauritanie reconnaisse les Haratines comme une identité à part entière, porteuse d’une mémoire douloureuse et d’une trajectoire singulière. Peu après, un autre ami, Mohamed Ould Echriv Echriv , a défendu la thèse inverse. Selon lui, parler de « communauté haratine » est une erreur historique et politique, car l’affranchissement n’a jamais produit de peuple séparé. La seule voie serait celle d’une citoyenneté égalitaire, débarrassée des catégories héritées de la servitude.
Ces deux positions, en apparence irréconciliables, traduisent en réalité deux vérités nécessaires. Sidi rappelle que l’unité ne peut naître du déni. L’histoire des Haratines ne peut être effacée sans trahir la justice. Mohamed souligne qu’aucune identité ne doit être figée, et que seule la citoyenneté commune peut briser la domination d’une oligarchie sur la majorité marginalisée. L’un insiste sur la mémoire, l’autre sur l’avenir. La question n’est pas de choisir, mais d’articuler les deux.
Car l’identité n’est jamais un bloc figé. Elle se façonne dans le temps, sous l’effet des langues, des mobilités, des brassages. En Mauritanie, l’arabité des Maures est elle-même le fruit d’un long métissage entre populations berbères et africaines, nourri par les circulations transsahariennes. Au Sénégal, l’identité sérère ou wolof s’est transformée au gré des migrations, des confréries et des alliances. Partout, l’histoire rappelle que l’identité vit, se recompose, se redessine. Refuser cette plasticité, c’est figer des blessures au lieu de les guérir.
Reconnaître les Haratines dans leur histoire, ce n’est pas inventer une ethnie nouvelle, mais accepter que leur mémoire spécifique fasse partie du récit national. Refuser cette reconnaissance, c’est prolonger l’invisibilisation. Mais enfermer les Haratines dans une cage identitaire serait tout aussi dangereux. Cela reviendrait à figer une condition passée et à détourner le regard du vrai combat, celui de la citoyenneté partagée. Entre ces deux écueils, une voie existe. Assumer la mémoire sans en faire un enfermement, construire la citoyenneté sans effacer les différences.
Encore faut-il donner chair à cette réconciliation. Tant que les barrières sociales, symboliques et matrimoniales persisteront, la nation avancera à cloche-pied. L’unité ne peut rester un slogan. Elle doit se traduire dans la vie quotidienne, dans la possibilité réelle pour un Haratine, un Maure, un Pulaar, un Soninké, un Wolof de se rencontrer, de s’allier, de fonder famille, de partager pain et destin. Le métissage et les mariages mixtes ne sont pas de simples choix privés. Ils sont le signe tangible d’une société qui consent enfin à se reconnaître en elle-même. Là où l’on refuse le mélange, on nourrit une ségrégation invisible. Là où l’on encourage la rencontre, on bâtit une nation.
En vérité, le débat ouvert par mes deux amis touche au cœur du projet mauritanien. Il ne s’agit pas seulement de savoir si les Haratines doivent avoir une identité propre ou non. Il s’agit de décider comment notre pays assumera son histoire pour se projeter dans l’avenir. Reconnaître sans figer. Unir sans nier. Faire de la pluralité des mémoires le ciment d’un destin commun. C’est ainsi, et seulement ainsi, que nous pourrons bâtir une Mauritanie réconciliée avec elle-même, une nation où la justice cesse d’être un slogan pour devenir horizon partagé.
Mansour LY -Le 6 Août 2025

Laisser un commentaire

Articles similaires