Quand l’obsession linguistique tourne au ridicule : la pétition d’un autre siècle
linguistique
Il faut saluer l’audace de cette pétition. Il faut du courage, ou de l’inconscience, pour oser proposer, en 2025, des idées qui semblent tout droit sorties d’un congrès de censeurs linguistiques des années 1950. Arabisation forcée, loi organique punitive, chasse aux langues étrangères dans les institutions internationales : on se croirait dans un pastiche autoritaire d’un mauvais roman dystopique.
Criminaliser la “violation” de l’article 6 ? C’est donc cela, l’urgence nationale ? Dans un pays où la moitié des citoyens ne peuvent ni se soigner correctement ni accéder à la justice dans leur langue maternelle, on nous propose de créer une police linguistique ? Faudra-t-il bientôt traduire nos rêves en arabe pour éviter l’amende ?
Quant à l’arabisation des services administratifs, voilà une grande idée, appliquée avec un tel succès ces 40 dernières années que l’administration elle-même peine à se comprendre. Documents bâclés, agents mal formés, jargon approximatif et exclusion systématique de tous ceux qui n’ont pas été élevés dans le bon circuit linguistique : une vraie réussite.
Mais le chef-d’œuvre, le sommet de l’absurde, reste cette revendication cocasse : forcer les institutions internationales à utiliser exclusivement la “langue officielle”. Une merveille de stratégie géopolitique : commençons donc par demander au FMI, à l’ONU et à la Banque mondiale de communiquer exclusivement en arabe classique… avec des interlocuteurs qui, souvent, parlent mieux le français ou l’anglais. De quoi nous faire gagner en efficacité, c’est certain.
Au fond, cette pétition n’est pas une simple erreur de jugement. C’est le symptôme d’un mal plus profond : la confusion entre langue et identité, entre nationalisme linguistique et projet national. Une nation n’impose pas, elle rassemble. Une langue n’a pas besoin de menaces pour vivre, mais de justice, d’équité, et de reconnaissance mutuelle.
Et si ces pétitionnaires veulent vraiment défendre la langue arabe, qu’ils commencent par l’aimer avec intelligence, et non la transformer en outil d’exclusion. Car ce n’est pas en criminalisant le multilinguisme qu’on renforce une nation. C’est en écoutant tous ses enfants, dans toutes leurs langues.
Sy Mamadou