Presse privée en Mauritanie : précarité économique et recul de la liberté médiatique
La presse privée en Mauritanie traverse une crise profonde : absence de publicité, retard du fonds d’appui, marginalisation des journalistes et recul de la liberté de la presse.
Presse privée en Mauritanie : chronique d’une précarité silencieuse
Asphyxiée économiquement, marginalisée dans l’accès à l’information et privée de soutiens effectifs, la presse privée en Mauritanie traverse une crise silencieuse qui menace le pluralisme médiatique et la liberté d’expression.
Par Ardo Ousmane – Rapide Info
La presse privée mauritanienne traverse l’une des périodes les plus sombres de son histoire récente. Fragilisée par une crise économique persistante, marginalisée dans l’accès à l’information officielle et privée de mécanismes de soutien effectifs, elle survit aujourd’hui dans une précarité quasi permanente, au risque de compromettre durablement le pluralisme médiatique et la liberté de la presse dans le pays.
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Un modèle économique à bout de souffle
En Mauritanie, la presse privée évolue dans un environnement économiquement asphyxiant. L’absence quasi totale de publicité institutionnelle, la faiblesse structurelle du marché publicitaire privé et l’inexistence d’une véritable culture de l’abonnement condamnent de nombreux organes de presse à fonctionner sans ressources stables. À cela s’ajoute le retard récurrent du Fonds d’appui à la presse, pourtant présenté comme un levier essentiel pour soutenir le secteur.
Certes, ce fonds a connu une augmentation nominale ces dernières années, mais son impact réel reste limité. En cause : les lourdeurs du mécanisme de la dépense publique, la complexité des procédures administratives et l’inertie des rouages institutionnels. Résultat : l’aide promise arrive tardivement, quand elle arrive, souvent déconnectée de l’urgence vécue sur le terrain par les rédactions.
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Une liberté de la presse en régression insidieuse
Au-delà de la dimension économique, c’est la liberté de la presse elle-même qui semble suivre une trajectoire régressive. Depuis la période post-pandémique, la couverture médiatique de l’action publique est de plus en plus monopolisée par le bureau de la Présidence de la République, à travers un dispositif de communication centralisé, verrouillant l’accès direct à l’information pour les médias indépendants.
Parallèlement, les partis politiques ont développé leurs propres réseaux de « blogueurs » et de communicateurs informels, court-circuitant les médias professionnels et contribuant à une information partisane, souvent dénuée de rigueur journalistique. Cette évolution marginalise davantage les rédactions, reléguées au rôle de simples relais secondaires, voire ignorées.
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La pandémie, point de bascule pour le journalisme
La crise sanitaire liée à la Covid-19 a constitué un tournant décisif. Durant cette période, la presse n’a pratiquement pas couvert les activités officielles : réunions à huis clos, visioconférences, communiqués numériques, tout se faisait à distance. Les journalistes ont été exclus de fait du terrain, perdant non seulement l’accès à l’information, mais aussi les opportunités de couverture médiatique qui constituaient parfois leur seule source de revenus indirects.
Pendant ce temps, les partenaires techniques et financiers internationaux ont réorienté leurs priorités vers les petites et moyennes entreprises, notamment dans le secteur de la pêche, afin de soutenir l’économie productive face à la crise. La presse, pourtant pilier essentiel de la transparence et de la gouvernance démocratique, est restée en marge de ces dispositifs de soutien.
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Un ministère de la Culture aux priorités contestées
Dans ce contexte, le rôle du ministère de la Culture est largement interrogé par les professionnels du secteur. Pour beaucoup, il fonctionne davantage comme un ministère de l’artisanat et des festivals que comme une institution chargée de structurer, protéger et développer les médias nationaux. Les questions liées à la presse, à la formation des journalistes, à la viabilité économique des organes et à la régulation équitable du secteur semblent reléguées au second plan.
Un paradoxe gouvernemental
Le paradoxe est frappant : alors que le gouvernement affirme lutter contre toutes les formes d’exclusion sociale et économique, il semble ne pas mesurer que les médias figurent parmi les secteurs les plus durement touchés par la crise économique et sanitaire. Ailleurs dans le monde, les États ont mis en place des fonds spéciaux d’urgence pour soutenir la presse durant la pandémie, reconnaissant son rôle stratégique en temps de crise.
En Mauritanie, malgré l’existence d’un fonds d’appui, les retards, les lenteurs et l’absence de vision globale ont vidé cet outil de sa portée réelle, laissant la presse privée s’enfoncer dans une vulnérabilité chronique.
Un enjeu démocratique majeur
Le tableau est sombre, mais l’enjeu dépasse la survie des entreprises de presse. Il touche au cœur même de la démocratie. Une presse affaiblie, dépendante ou marginalisée ne peut pleinement jouer son rôle de contre-pouvoir, d’information citoyenne et de veille démocratique.
Réhabiliter la presse privée mauritanienne suppose une prise de conscience politique claire, une réforme profonde des mécanismes de soutien, un accès équitable à l’information publique et une reconnaissance réelle du journalisme comme bien public. Faute de quoi, le silence progressif des médias indépendants risque de devenir l’un des symptômes les plus inquiétants de la crise démocratique à venir.
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