Dialogue national en Mauritanie : un projet présidentiel sans relais politiques ?
Malgré la volonté affichée du président Ghazouani de lancer un dialogue national inclusif, la majorité comme l’opposition semblent peu engagées. Analyse d’un processus miné par les clivages identitaires et les calculs politiques.
Dialogue national : Une volonté présidentielle sans relais politiques ?
Alors que le président Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani réaffirme son engagement en faveur d’un dialogue national inclusif, le scepticisme grandit au sein de la classe politique. Entre une majorité prudente, une opposition distante et des tensions identitaires récurrentes, l’initiative présidentielle peine à convaincre. Le risque d’un dialogue de façade, vidé de son sens, devient de plus en plus tangible dans un pays en quête de cohésion et de réformes profondes.
Nouakchott – Rapide Info
Alors que le président Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani a, à plusieurs reprises, exprimé sa volonté d’initier un dialogue national inclusif, les signaux en provenance de la majorité comme de l’opposition laissent planer le doute quant à l’adhésion sincère des principaux acteurs politiques à ce processus. La réunion hier soir au siège du parti El Insaf, dans la capitale Nouakchott, illustre cette ambivalence. Officiellement, les partis de la majorité s’y retrouvent pour répondre à une lettre adressée par le coordinateur du dialogue national, Moussa Fall. Mais au-delà du langage diplomatique, les doutes s’accumulent.
Une majorité prudente, une opposition sur la réserve
Les représentants de la majorité présidentielle affirment vouloir « assurer le succès du processus de dialogue national » et prônent « une coordination des positions pour garantir une approche unifiée ». Pourtant, plusieurs sources internes évoquent une dynamique d’attentisme, voire de scepticisme, au sein de la majorité. La volonté de dialogue semble en réalité freinée par une logique de contrôle politique, où chaque ouverture est perçue comme un risque plus que comme une opportunité.
Du côté de l’opposition, la prudence est encore plus visible. Si aucun rejet explicite n’a été formulé, les principaux partis progressistes, islamistes ou nationalistes rechignent à s’engager pleinement dans un processus dont ils dénoncent le manque de clarté et d’engagements concrets. Plusieurs figures critiques pointent l’absence de garanties sur l’agenda, les thématiques et les mécanismes de mise en œuvre des recommandations qui pourraient émerger.
Une manœuvre de diversion ?
Dans la rue, le citoyen mauritanien, quant à lui, assiste à ce ballet politique avec une lassitude croissante. Nombreux sont ceux qui estiment que le dialogue, loin d’être un projet structurant pour la démocratie, est devenu un outil de diversion, utilisé pour détourner l’attention des véritables urgences sociales et économiques.
À chaque tentative de lancement ou de relance du dialogue, des tensions communautaires, tribales ou identitaires semblent surgir de manière quasi-systématique. Récemment encore, des débats clivants ont occupé l’espace médiatique, reléguant les questions de gouvernance, de justice sociale, ou de transparence à l’arrière-plan. Une stratégie qui, selon plusieurs analystes, viserait à maintenir un statu quo politique tout en donnant l’illusion d’une ouverture démocratique.
Un dialogue sans base populaire ?
Le malaise est d’autant plus profond que le dialogue annoncé ne semble pas s’inscrire dans une démarche réellement participative. Les syndicats, les organisations de la société civile, les mouvements citoyens ou les diasporas sont, pour l’instant, largement tenus à l’écart. La composition même du comité de pilotage et l’absence de débat public préalable interrogent sur la sincérité de l’initiative.
Plusieurs intellectuels et observateurs indépendants s’interrogent : comment engager un dialogue national si les préoccupations réelles du peuple — chômage, inflation, inégalités, accès aux services de base — ne sont pas au cœur de l’agenda ? Comment parler de réconciliation ou de cohésion nationale lorsque les clivages communautaires sont entretenus, parfois instrumentalisés, par les élites elles-mêmes ?
Le risque d’un énième rendez-vous sans relais politiques
À l’approche de la moitié du second mandant du président réélu, l’appel au dialogue pourrait bien n’être qu’une manœuvre politique de plus. À moins d’un sursaut collectif — tant de la majorité que de l’opposition — pour replacer l’intérêt général au centre du processus, la Mauritanie risque de rater une nouvelle occasion de poser les bases d’un véritable pacte républicain.
Le peuple, quant à lui, attend autre chose que des déclarations de principe. Il aspire à un dialogue sincère, transparent, qui dépasse les calculs partisans et les querelles identitaires. Un dialogue qui parle à sa réalité. Faute de cela, la défiance continuera de croître, et avec elle, la fragilité de tout l’édifice démocratique.