Passif humanitaire : questions de justice transitionnelle et d’accès à la vérité
Passif humanitaire : questions de justice transitionnelle et d’accès à la vérité.
Lors de ses observations finales concernant le rapport initial soumis par la Mauritanie, le Comité des disparitions forcées (CED) de l’ONU avait formulé, l’an dernier, des recommandations relatives au « passif humanitaire ». Dans une lettre adressée au Commissaire aux droits de l’Homme et à l’action humanitaire et aux relations avec la société Civile, Sid’Ahmed ould Benane, plusieurs organisations (1) rappellent aujourd’hui aux autorités mauritaniennes la nécessite de mettre en œuvre lesdites recommandations, en application de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.
Ces organisations attirent ainsi, un an après l’adoption des observations finales par le Comité, l’attention sur les recommandations relatives aux questions de justice transitionnelle et d’accès à la vérité en lien avec le passif humanitaire. « Les autorités mauritaniennes ont été invitées à mettre en marche un mécanisme de justice transitionnelle qui devrait passer, entre autres, par une intensification des efforts de recherche des individus portés disparus, en garantissant notamment une enquête approfondie et impartiale pour chaque cas de disparition forcée relevant de la période du passif humanitaire, la poursuite et le jugement de toutes les personnes ayant participé à la commission d’une disparition forcée, y compris les supérieurs hiérarchiques militaires et civils ». Le Comité avait également recommandé à l’État mauritanien d’abroger toute disposition qui aurait pour effet d’exonérer les auteurs de disparitions forcées de poursuites ou de sanctions pénales.
À cet égard, les signataires de la lettre notent que « les autorités mauritaniennes n’ont pas exprimé, lors de l’examen de la situation de la Mauritanie devant le Comité, une quelconque volonté d’abroger ou d’amender la loi d’amnistie ». Au grand regret de ces organisations et des victimes, « la loi n°93-23 du 14 Juin 1993, portant amnistie pleine et entière aux membres des forces armées et de sécurité pour les crimes commis dans le cadre de l’exercice de leur fonction pendant la période du passif humanitaire, continue d’être dans les faits en vigueur ». Et de rappeler dans leur correspondance, qu’« à l’occasion de la campagne électorale ayant précédé l’élection présidentielle mauritanienne de 2024, la question du passif humanitaire s’est de nouveau retrouvée au cœur des débats.[…]
Quatre des sept candidats se sont prononcés en faveur d’un processus de justice transitionnelle, en s’engageant notamment sur diverses mesures qui nous apparaissent cohérentes avec les recommandations figurant dans les Observations finales, comme la fondation d’une commission « Vérité et réconciliation » ou bien l’abrogation de la loi d’amnistie de 1993. Le président réélu Mohamed Cheikh Ould Ghazouani avait lui-même exprimé sa volonté de « panser les plaies du passé [et de] tourner la page du passif humanitaire », pour répondre à cette demande sociale. L’attention portée à la question de la justice et, plus précisément, au traitement du passif humanitaire pendant cette campagne nous rappelle à quel point cette page sombre de l’histoire mauritanienne demeure un dossier non réglé, source de division nationale […].
Il reste encore à voir quelle utilisation les autorités mauritaniennes feront de cette impulsion et si elle se matérialisera par des négociations, à la fois fondées sur la bonne foi et prenant en compte les mesures recommandées par le Comité. Il est par exemple regrettable que le règlement du retour des réfugiés-déportés ait été séparé du traitement plus général dudit passif, que l’indemnisation des victimes ait été envisagée comme une solution définitive et que la journée de réconciliation nationale ne se soit pas inscrite dans le temps ». Outre le fait qu’aucune poursuite n’a pu être engagée contre les responsables présumés des violations commises durant le passif humanitaire, la vérité sur ce qui s’est passé au cours de cette période est toujours considérée comme un tabou national et aucun rapport officiel à propos de ces événements n’a encore été publié, comme l’avait déjà relevé, en 2014, le rapporteur spécial des Nations-unies sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée.
De l’avis des organisations signataires, une abrogation « permettra de susciter les conditions nécessaires à l’ouverture d’un dialogue entre les différentes parties prenantes pour mettre à jour la réalité des faits et situer les responsabilités de chacun ». Elles estiment que « seul un travail entrepris en ce sens, dans un esprit de réconciliation, pourra espérer aboutir à des conclusions claires, prenant en compte le devoir de vérité, le devoir de justice, le devoir de mémoire et le devoir de réparation ». Ces organisations de défense des droits humains et représentants de victimes encouragent le Commissariat à « adopter une attitude proactive et positive, en fournissant avant la date butoir un rapport détaillé des mesures prises par le gouvernement mauritanien ou qu’il entend mener, pour solder de manière définitive les graves violations des droits humains qui ont visé tout particulièrement la communauté afro-mauritanienne de la fin des années 1980 au début des années 1990 et ce, à la lumière des recommandations figurant dans les Observations finales du Comité ».
(1) : Liste des organisations signataires : Alliance des Orphelins Mauritaniens ; Association des Femmes Cheffes de Famille (AFCF) ; Association d’aides aux veuves et aux orphelins de Mauritanie (AVOMM) ; Collectif des veuves des militaires et civils disparus ; Muritani min Njejjittaa ; MENA Rights Group ; Organisation pour le Développement International Social Solidaire Intégré (ODISSI) ; VOIX des martyrs de Mauritanie.
Source: le Calame