Ousmane Mamoudou Kane : « Mon Devoir de Servir » — une réflexion sur la réforme publique mauritanienne
Lors de la dédicace de son livre Mon Devoir de Servir, Ousmane Mamoudou Kane expose une analyse critique et systémique des enjeux éducatifs, mémoriels et administratifs de la Mauritanie.
Lors de la cérémonie de dédicace de son ouvrage au sein du cercle lettré des Traversées Mauritanides, l’ancien ministre Ousmane Mamoudou Kane a offert bien plus qu’une présentation d’auteur : il a déroulé une cosmologie intellectuelle de la réforme publique en Mauritanie, articulée autour de quatre axes conceptuels — l’éducation, la mémoire nationale, la corruption et la méritocratie. Son propos, constitue en réalité une cartographie critique des nœuds qui entravent la trajectoire modernisatrice de l’État mauritanien.
Le postulat liminaire de Kane — l’éducation comme fondement de tout développement — n’est ni rhétorique ni décoratif : il constitue un acte de foi politique structuré, à mi-chemin entre une affirmation gramscienne de l’hégémonie culturelle et une lecture néo-wébérienne de la rationalité étatique. En soutenant la dernière loi d’orientation éducative tout en regrettant l’insuffisance des moyens, Kane pointe une bipolarité schizophrénique de l’État mauritanien : une volonté de réforme sans stratégie de transformation.
Son invocation de modèles étrangers — Singapour et la Suisse — n’est pas un simple effet comparatif. Elle vise à montrer que la réussite n’est pas tributaire de la richesse naturelle, mais de l’intentionnalité politique traduite en ingénierie éducative. La Suisse, avec son modèle trilingue, devient ici un argument ontologique contre le mythe du chaos linguistique. Il ne s’agit pas de copier un modèle, mais de montrer que le pluralisme linguistique est soluble dans la rigueur institutionnelle.
Lorsque Kane affirme que la question linguistique doit être tranchée de manière consensuelle, il désigne la langue non comme vecteur neutre de communication, mais comme un opérateur de légitimité politique et de cohésion symbolique. Loin d’être un simple choix pédagogique, le débat sur la langue d’enseignement est l’ultime frontière de la négociation identitaire de l’État mauritanien.
Le blocage n’est pas technique, il est idéologique. En appelant à une résolution consensuelle, Kane suggère implicitement la nécessité de désidéologiser la question, afin de la réintégrer dans un paradigme fonctionnel : celui de l’efficacité éducative et non de la confrontation mémorielle.
En abordant la question du passif humanitaire, Kane quitte le registre du technicien pour entrer dans celui de l’éthicien d’État. Il affirme que ce contentieux non soldé constitue une pierre dans la chaussure nationale — formulation métaphorique mais lourde de sens : il ne bloque pas l’État, il l’entrave, insidieusement, à chaque pas.
La lecture kanienne de la mémoire n’est pas punitive, elle est prospective : il ne s’agit pas de punir pour solder, mais de reconnaître pour construire. En cela, il rejoint une tradition post-transitionaliste dans laquelle la mémoire devient levier de reconstruction civique, et non instrument de revanche. Le dépassement des épreuves passe, selon lui, par une solution définitive, c’est-à-dire institutionnalisée, reconnue et stable.
Kane aborde la corruption non comme une pratique illégale seulement, mais comme une pathologie cognitive de l’élite politique : « ceux qui s’y adonnent manquent de lucidité ». Cette phrase, apparemment morale, cache en réalité une profonde critique de la faillite rationaliste du système clientélaire, qui court après un gain immédiat en se privant de toute stratégie de long terme.
Les références aux familles Bongo et Dos Santos ne sont pas gratuites : elles installent la critique dans un champ africain partagé, et offrent une grammaire comparative de l’impunité déchue. L’effet visé est clair : montrer que même les systèmes verrouillés par le népotisme et le secret peuvent finir par s’effondrer sous leur propre poids.
Lorsqu’il fustige les nominations complaisantes et les promotions fulgurantes, Kane engage une critique frontale contre la subversion de la fonction publique par la logique d’allégeance. Le mérite, l’expérience et la patience deviennent les trois piliers de la légitimité professionnelle. Son rejet des ministres de 35 ans n’est pas un rejet de la jeunesse, mais une critique des accélérations opportunistes où l’ambition remplace la compétence.
Son propos s’inscrit dans une philosophie administrative classique, proche de la conception républicaine du service public : la fonction doit être le prolongement d’une trajectoire, non le fruit d’un calcul d’influence.
Ce que Ousmane Mamoudou Kane a exprimé lors de cette rencontre dépasse le simple cadre de la littérature ou du commentaire politique. C’est un discours d’État sans portefeuille, une tentative de réintroduire dans le débat public la logique de la profondeur, de la structure et de l’intelligibilité systémique.
Mohamed Ould Echriv Echriv