Non, Amadou Ba, la Mauritanie n’est pas un pays d’apartheid… elle est juste un pays où tout y ressemble
Réponse critique à la tribune d’Amadou Ba. Derrière le rejet du mot "apartheid", une réalité sociale et institutionnelle qui en porte toutes les marques.
Quand le déni devient vertu et la cécité un patriotisme, il faut bien quelques ironies pour dire la vérité.
Grâce à la tribune d’Amadou Ba, nous voilà rassurés : la Mauritanie n’est pas un pays d’apartheid.
C’est simplement un pays où les injustices sont « humaines », le racisme « accidentel », et l’exclusion « mal interprétée ».
Autrement dit, tout va bien : la ségrégation n’existe pas, elle a juste changé de vocabulaire.
Depuis quelques jours, cette tribune tourne sur les réseaux. Son auteur, sincère sans doute, y plaide que qualifier la Mauritanie de pays d’apartheid serait une injustice. Il reconnaît des inégalités, du favoritisme, des injustices administratives… mais il nous supplie de ne pas les confondre avec du racisme.
Car voyez-vous, en Mauritanie, tout le monde souffre également — sauf ceux qui ne souffrent jamais.
Non, la Mauritanie n’est pas un pays d’apartheid.
C’est juste un pays où la couleur détermine la carrière, la langue conditionne la citoyenneté et le nom de famille décide de l’avenir.
Mais attention : ce n’est pas de la discrimination, c’est de la gestion identitaire équilibrée.
Quand un Noir est recalé à un concours qu’il a pourtant réussi, ce n’est pas du racisme : c’est de la « rigueur administrative ».
Quand il se voit refuser un passeport, c’est une « erreur informatique ».
Et quand les langues nationales africaines sont bannies des institutions, ce n’est pas de l’exclusion : c’est de la préservation de l’unité linguistique.
Quelle subtilité ! Quelle élégance dans la ségrégation ! Un système si raffiné qu’il parvient à humilier sans jamais se sentir coupable.
Amadou Ba nous raconte son parcours : ses échecs aux concours, ses frustrations, ses injustices subies.
Et pourtant, il conclut qu’il n’y a pas d’apartheid.
C’est admirable. C’est comme quelqu’un qui se fait voler chaque semaine et qui finit par dire :
« Il y a des voleurs, certes, mais pas de système de vol. »
L’auteur a connu l’injustice individuelle, mais refuse d’admettre l’injustice collective.
Ce qu’il décrit n’est pas une série d’accidents : c’est un mécanisme bien huilé.
Un système qui trie, sélectionne et hiérarchise les citoyens selon leur origine, leur langue ou leur couleur.
Mais parler de cela, paraît-il, c’est « jouer avec le feu ».
Alors on préfère brûler lentement, en silence, sous le feu doux du déni.
« Ne jouons pas avec la corde ethnique », écrit Amadou Ba. C’est beau.
Sauf que cette corde, certains y sont pendus depuis soixante ans. L’unité nationale ne se décrète pas à coups de slogans, elle se construit sur la justice.
Mais ici, on confond la paix avec le silence, et l’unité avec l’oubli.
L’unité nationale ne consiste pas à demander aux opprimés d’aimer leurs oppresseurs.
Elle exige la reconnaissance du tort, la réparation des blessures, et la refondation du contrat social.
Tant que ce contrat sera unilatéral, cette unité ne sera qu’un mot.
« La Mauritanie n’est pas un pays d’apartheid, c’est un pays d’espérance, encore inachevé, mais debout », conclut Amadou Ba.
Oui, debout — mais sur les épaules de ceux qu’elle empêche encore de se relever.
Un pays d’espérance pour les uns, de patience forcée pour les autres.
Une république à deux vitesses : ceux qui sont nés du bon côté du fleuve, et ceux qui doivent encore prouver qu’ils en font partie.
Non, cher Amadou, la Mauritanie n’est pas un pays d’apartheid :
c’est bien pire — un pays qui vit dans le mensonge tranquille de son innocence,
un pays qui a institutionnalisé la ségrégation tout en se félicitant de ne pas la voir.
La vérité ne divise pas, elle dérange.
Et si le mot apartheid choque, c’est sans doute parce qu’il décrit trop bien la réalité qu’on veut taire.
Refuser de le prononcer, c’est protéger le système qui le justifie. L’aimer, notre Mauritanie, ce n’est pas la flatter — c’est oser la regarder en face.
Oui, la Mauritanie doit être un pays d’espérance.
Mais l’espérance n’a de sens que lorsqu’elle s’appuie sur la vérité. Et tant que certains devront se battre pour prouver qu’ils appartiennent à leur propre pays, il sera inutile de chanter l’unité nationale.
Car le vrai danger pour la Mauritanie, ce n’est pas le mot apartheid —. c’est le confort de ceux qui trouvent que tout va bien…Wetov