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Mohamed Ould Echriv Echriv : « Le terme hartani en Mauritanie, une importation coloniale ? »

Mohamed Ould Echriv Echriv propose une relecture historique du terme hartani en Mauritanie, qu’il considère comme une importation coloniale française.

Dans une mise au point érudite, Mohamed Ould Echriv Echriv interroge l’histoire du terme hartani en Mauritanie. S’appuyant sur des sources manuscrites locales et des travaux anthropologiques de référence, il avance l’hypothèse que cette désignation n’est pas d’origine autochtone mais aurait été importée par l’administration coloniale française depuis le Maghreb. Une réflexion qui ouvre le débat sur l’usage contemporain de ce vocable et ses implications identitaires.
Il est d’usage, dans la doxa anthropologique et historiographique, d’affirmer que le vocable générique hartani appartient de longue date au lexique saharien et maghrébin. Les dictionnaires spécialisés, de M. Gast à G. Camps, en relèvent les occurrences depuis le XVIIIᵉ siècle dans les manuscrits de Tamentit, ou dans les chroniques marocaines. L’aire d’emploi, telle que cartographiée par Philippe Marçais, couvre le Touat, le Mzab, Laghouat, Adrar, Ghardaïa, le Drâa, jusqu’aux confins de Tindouf et Marrakech. Pourtant, une lecture attentive des corpus strictement mauritaniens met au jour une césure : les manuscrits poétiques, juridiques et historiques de la vallée du Sénégal, du Brakna et du Tagant, jusqu’au XIXᵉ siècle, ne connaissent que les désignations traditionnelles : ʿabd pour l’esclave masculin, khādim pour l’esclave féminine, quelle que soit la couleur de peau. Ni dans les vers satiriques, ni dans les fatāwā de cadi locaux, ni dans les récits d’épopée le terme générique hartani ne s’impose avant l’arrivée des colons. Dès lors, ma thèse – que d’aucuns jugeront iconoclaste – est que le mot hartani a été transposé au moment de l’irruption coloniale. L’administration française, nourrie de sa connaissance algérienne, a importé ce qualificatif, déjà usuel dans le Touat et le Mzab, pour désigner une catégorie spécifique : les affranchis du Trarza et du Brakna. Autrement dit, ce qui était en Algérie et au Maroc un terme vernaculaire pluriséculaire, devenu au fil du temps un marqueur socio-professionnel, a été réinterprété en Mauritanie pour structurer l’espace social colonial et assigner une identité aux descendants d’esclaves dans les émirats. C’est à ce moment que l’« élite haratine » mauritanienne s’est trouvée prise dans une équivoque. Certains ont revendiqué des généalogies mythiques, se disant fils de Hartoun, ancêtre légendaire censé donner cohérence à la nouvelle appellation. L’étymologie populaire « hor-thani » – le « second libre » – ne résiste ni à la philologie, ni à l’archéologie du mot. L’autorité scientifique de M. Gast dans son entrée « Harṭâni » (Encyclopédie berbère) demeure incontournable. Son dernier paragraphe est sans équivoque et mérite d’être cité in extenso, tant il tranche avec les usages discriminatoires et replace le débat dans une perspective d’universalité citoyenne, il dit : « L’ethnique hartani qui fut nécessaire pour comprendre les sociétés sahariennes et différencier l’origine de certains Noirs sahariens, est cependant entaché de connotations péjoratives et racistes. Les Haratines aujourd’hui, issus d’un brassage permanent d’individus, quelles que soient leurs origines, ont acquis le statut d’hommes libres et la couleur de leur peau importe peu désormais au regard des compétences et du rang qu’ils ont su acquérir dans les domaines les plus divers, y compris comme élus locaux parfois à un haut niveau. Aptes aux métiers nouveaux, de la mécanique à l’électronique, de l’exploitation minière et pétrolière, de la gestion administrative, ils représentent encore le fond le plus important des artisans et agriculteurs sahariens. Conscients des préjugés dont ils sont victimes, ils gardent une attitude digne et souvent réservée qui cache une grande fierté. Les termes de ḥarṭâni/ḥarrâṭîn, très discriminatoires, devraient désormais disparaître de la langue officielle et du langage courant pour faire place à des références nationales ou régionales, comme pour tout autre individu en pays démocratique. La citoyenneté régionale prévaut sur les clivages anciens de hiérarchies sociales aujourd’hui dépassées, et qui n’ont plus la pertinence qu’elles avaient dans les sociétés traditionnelles» Fin de citation Pr Gast. NB: J’ai présenté cette thèse comme une hypothèse de travail nourrie de mes recoupements manuscrits ; je reste évidemment disposé à accueillir toute information plus précise sur le sujet, car une thèse n’est jamais qu’une construction provisoire, et même les plus grands anthropologues, se sont parfois contredits ou corrigés au fil du temps….
Mohamed Ould Echriv Echriv

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