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Le miroir de l’élite : le cri pastoral de Moustapha Sidatt

Moustapha Sidatt livre un miroir sur les dérives de l’élite mauritanienne à travers des métaphores hassaniennes fortes. Une analyse critique signée Mohamed Ould Echriv Echriv.

Dans un pays où les métaphores remplacent parfois les décrets, où le proverbe tient lieu de manifeste, l’ancien sénateur Moustapha Sidatt vient de jeter un miroir rugueux à la figure de l’élite mauritanienne. Son discours, à mi-chemin entre la critique politique et la sagesse pastorale, s’inscrit dans une tradition hassanienne où la chamelle, l’âne et le tronc sec valent plus qu’une bibliographie académique. Pour ceux qui savent lire au-delà des images, c’est un appel au réveil moral d’une élite fragmentée entre cynisme, attente intéressée, idéalisme marginal et agitation monnayable.
La première catégorie de l’élite décrite par Sidatt est la plus vaste : celle des pragmatiques sans scrupules, des individus dont la relation au pouvoir s’apparente à celle de l’âne face au puits. L’animal boit, peu importe si le puits s’effondre derrière lui. Ce n’est ni de l’ignorance, ni de l’hostilité : c’est une indifférence radicale à la pérennité de la chose publique.
Dans la mythologie hassanienne, cette image renvoie au détachement pastoral absolu, à l’acte pur de consommation sans égard pour la source. Cette élite-là est donc le bras utilitaire du système : elle justifie tout – le faux comme le vrai – pourvu que ses intérêts soient servis. Elle fournit la rhétorique, le camouflage moral, la justification préemballée, même au prix du langage.
La deuxième catégorie, dit Sidatt, est celle des élites en attente – sur le banc de touche – exhibant leur « disponibilité » au pouvoir avec une forme de vulgarité désespérée. La métaphore choisie est cinglante : la chamelle laitière dont les mamelles gonflées ne donnent rien. En contexte hassanien, cela désigne l’ostentation sans substance, la démonstration d’utilité dans l’espoir d’être « pressée », mobilisée.
Ces élites surjouent, s’agitent, se plaignent même parfois, dans l’espoir d’un regard du pouvoir, d’une nomination, d’un financement, d’un strapontin. Ce n’est ni une posture idéologique, ni un projet réformateur : c’est une économie d’apparence, un théâtre de séduction où la République est courtisée comme une promesse d’aumône.
La troisième catégorie : les patriotes. Ils sont peu nombreux, mais Sidatt les nomme avec une tendresse sèche : ceux dont les mains sont propres, ceux qui aiment ce pays pour ce qu’il est, et non pour ce qu’il distribue. Dans le langage hassanien, on dit d’eux qu’ils sont « posés sur la paume de la main » – c’est-à-dire exposés, vulnérables, à nu.
Ils sont les témoins de la désillusion. Trop propres pour corrompre, trop droits pour plaire. On les traite d’ »naïfs », alors qu’ils sont en réalité porteurs d’un ethos républicain. Marginalisés, souvent sans parti, sans réseau, sans bras armé dans l’administration, leur patriotisme devient presque un luxe, une forme de résistance passive.
La quatrième catégorie est celle des extrémistes. Sidatt y distingue deux types :
– ceux que la douleur a poussés vers l’absolu – un extrémisme sincère, tragique, réactionnel ;
– et ceux qui l’exploitent comme un fonds de commerce, où slogans, indignations et vidéos virales sont des produits monnayables, cessibles, négociables.
Les premiers sont les blessés du système ; les seconds, ses parasites les plus bruyants. Les uns crient par souffrance, les autres crient pour vendre.
La conclusion de Sidatt s’ancre dans une ultime image : celle de l’arbre de Tourja, dont deux tiers du tronc sont secs. Autrement dit, l’élite mauritanienne est un organisme desséché, fissuré, dont seule une minorité incarne encore la vitalité républicaine.
Mais l’alerte va plus loin : le noyau sain – celui des patriotes – ne doit pas vivre en solitude idéologique, ni en isolement partisan. Il doit se coaliser, non pas sur une base ethnique ou clientéliste, mais autour d’un programme de réforme, d’une refondation morale et politique.
En filigrane, c’est une tawba politique que Sidatt appelle de ses vœux. Pas une repentance mystique, mais une conversion républicaine, où l’intérêt public redevient central, où l’élite cesse d’être une courroie d’aspiration pour devenir un levier de transformation.
Car le puits est fissuré, la chamelle ne donne plus de lait, les mains propres sont exilées, et les slogans saturent les oreilles. Reste l’arbre – partiellement vivant – autour duquel tout est encore possible. Si ses racines sont profondes, il peut repousser. Mais pour cela, il faut une coalition des justes, une conjuration des lucides, une alliance pour la Patrie.

Mohamed Ould Echriv Echriv

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