» Les militants de la haine « ! : les baathistes reviennent à la charge
Un article critique sur le discours des baathistes en Mauritanie, face aux aspirations haratines pour l’émancipation politique et la justice sociale.
Après la conférence organisée par le Centre Maghrébin des Études Stratégiques le 16 Août 2025, sur les discours sectaires, une figure baathiste de premier plan, Mohamed Ould El Kory El Arbi, Président du Forum des Baathistes en Mauritanie, revient à la charge dans un article au ton résolument engagé.
Ce choix d’angle n’est pas anodin ; il relève d’une stratégie rhétorique visant à désamorcer une dynamique sociale irréversible par une relégation identitaire savamment intellectualisée.
Il ouvre son propos en se présentant en fin connaisseur du discours de la haine — un domaine, il faut le reconnaître, qu’il maîtrise d’autant mieux qu’il en a été, des années durant, l’un des élèves les plus appliqués.
Formé à l’école idéologique qui persécuta les Kurdes et les chiites en Irak, qui théorisa la négation des négro-mauritaniens, et qui qualifiait avec un mépris à peine voilé les opposants haratines à Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya de « Kurdes ». Une école idéologique qui aurait pu définir et inscrire en lettres d’or sa véritable devise: « Le Baath ou le déluge ». Il n’est donc guère surprenant que les aspirations légitimes des militants haratines à une émancipation politique, les affranchissant de l’instrumentalisation d’une identité piégée, les exposent aux assauts d’une propagande baathiste rompue aux discours de haine et aux logiques totalitaires.
Qu’il adopte, dans ce débat, la posture commode du pompier face aux aspirations identitaires des Haratines (jugées aventureuses et périlleuses) ne saurait faire oublier l’arrière-plan idéologique qu’il incarne : celui d’une stratégie baathiste obstinée, visant à imposer — coûte que coûte — l’unité panarabe, l’unité nationale lingustique et culturelle, et la conservation stratégique de l’unité de la communauté hassanophone.
En mettant en garde contre les supposées conséquences apocalyptiques du discours militant qui appelle à une démarcation claire des Haratines vis-à-vis du néo-esclavage, de l’indignité, de l’aliénation, du mépris, de la marginalisation et de la privation, il adopte une position paradoxale : celle d’un réalisme contre nature. Il exige en effet que les voix du changement, de l’émancipation et de la dignité se sacrifient, dans un exercice de résilience infinie, sur l’autel d’une paix civile à sens unique — pendant qu’un système gabégique et sa base arrière conservatrice et retrograde conduisent le pays vers une dérive certaine.
Plutôt que de s’apesantir sur des intimidations dissuasives et de remarquer, à demi-mot, que les rapports de force joueraient contre les supposés “séparatistes” en cas d’effondrement de l’État, notre progressiste chevronné aurait pu positiver l’évolution des aspirations légitimes — au lieu de se poser en prophète de catastrophes.
Car le réalisme et la sagesse politiques, la prévoyance stratégique et l’objectivité dans l’analyse imposent aujourd’hui un tout autre constat : il est temps de se ressaisir, de se hisser à la hauteur des profondes transformations que vit notre société, et d’actualiser notre contrat social en vue d’une refondation de la Mauritanie plus juste, plus inclusive et résolument tournée vers l’avenir.
La lucidité politique et la stratégie progressiste commanderaient aux forces de progrès, ainsi qu’aux patriotes éclairés, épris de justice et d’humanité, d’accompagner ce repli de combat — logique et légitime — pour qu’ ensemble on aboutisse à mieux le rationaliser dans le cadre d’une lutte nationale partagée, plutôt que de chercher à le disqualifier, comme s’il s’agissait d’une dérive à sanctionner pour non-alignement politique.
Par ailleurs, quand bien même cette forme de repli pourrait être critiquée pour l’embrigadement qu’induit parfois le leadership imposant et centralisé de leurs dirigeants, elle n’en constitue pas moins un cadre de lutte porteur d’espoir — et, à bien des égards, infiniment préférable au carcan du néo-esclavage, avec son cortège d’aliénation, de mépris, d’indignité, de marginalisation, d’instrumentalisation et de privations. La plus grave erreur d’appréciation serait de prendre le comportement parfois discreditant de leurs leaders comme l’incarnation des aspirations légitimes des Haratines. Comme dit le dicton maure »la bête qui a le plus soif ce n’est pas celle qui crie le plus fort, mais celle qui n’arrive plus à crier.
Leur frustration, désormais pleinement consciente, s’étend à tous les échelons du service public. Ils en ont assez de cette marginalisation persistante, de cette invisibilité sociale et de cette privation systémique que leur inflige un système politique qu’on ne peut s’empêcher d’associer à une communauté à laquelle ils sont censés appartenir, et avec laquelle, en toute logique, ils devraient partager équitablement le meilleur comme le pire. Dans ce contexte d’impasse, où tout espoir de changement semble s’évanouir, il ne leur reste d’autre choix que de prendre leur destin en main, s’engager dans une démarcation politique, avec tout ce que cela implique.
S’agissant des FLAM, que le courant baathiste semble ressentir comme une obsession quasi pathologique, il convient de rappeler la célèbre déclaration du doyen Boubacar Ould Messaoud, figure emblématique de la conscience haratine : « La couleur de ma peau n’est pas un programme politique. » Cette affirmation, toujours d’actualité, incarne une conviction profonde et constante. Aujourd’hui, à l’heure de la démarcation et de la souveraineté politiques des Haratines, il importe d’y ajouter une certitude nouvelle : leur identité ne saurait plus servir de levier dans une stratégie de manipulation démographique.
En évoquant la question des FLAM, il laisse transparaître un mépris instinctif et un paternalisme esclavagiste profondément enraciné, en insinuant que, par immaturité politique, les Haratines dits extrémistes, en choisissant la voie de la démarcation, tomberaient dans le piège tendu par les FLAM pour fracturer la communauté bidhâne. Non, Monsieur Mohamed ElKory, ceux qui portent la voix de la démarcation sont politiquement majeurs et pleinement conscients de la portée et de la sensibilité de cette orientation décisive. Bien au contraire, cette démarche, loin d’être une dérive ou une manipulation quelconque, constitue l’aboutissement naturel et cohérent du long processus de libération et d’émancipation des Haratines. Elle apparaît aujourd’hui comme une nécessité stratégique pour déconstruire les conformismes du néo-esclavagisme et briser les carcans idéologiques et structurels d’un ordre rétrograde et conservateur. Tant que les Haratines évolueront dans l’orbite d’un système néo-esclavagiste traditionnel, maintenus dans la dépendance et la subordination, la Mauritanie ne pourra jamais prétendre à un véritable État de droit, républicain et démocratique. Il est illusoire de vouloir instaurer durablement une république, une bonne gouvernance, une citoyenneté pleine et entière, une démocratie réelle et une justice équitable dans une société où près de la moitié de la population demeure manipulable et exploitée à tous les niveaux par les structures de domination issues de l’ordre esclavagiste traditionnel.
C’est pourquoi une communauté haratine véritablement émancipée, autonome et souveraine, assumant pleinement son rôle d’acteur d’équilibre, constituerait non seulement un levier déterminant du changement politique et social, mais aussi une composante clé et stratégique de stabilité et d’intégration.
Dans une diatribe caractéristique du matraquage idéologique de la propagande baathiste, il reproche aux « militants de la haine » de nier le rôle précurseur qu’auraient joué les mouvements nationalistes ou progressistes dans la lutte contre l’esclavage.
En réalité, les militants de la cause haratine n’ont jamais nié le rôle précurseur joué par les courants nationalistes ou progressistes. Il est vrai, toutefois, que chaque fois que ces derniers ont tenté d’instrumentaliser ce rôle pour disqualifier, discréditer ou dénaturer le militantisme haratine, la réponse a été claire : opposer un bilan autrement plus conséquent que le leur, dont la portée réelle demeure, au mieux, marginale. Par ailleurs, le rôle formel joué par ces mouvements politiques dits “nationaux” n’avait rien de désintéressé, d’humanitaire ou de volontariste — bien au contraire. Il obéissait à des agendas idéologiques extérieurs, souvent teintés de fantasmes, surtout au regard de la cruauté et de l’inhumanité de l’esclavage en Mauritanie. Si l’on y ajoute que certains leaders du Baath mauritanien émargeaient, semble-t-il, depuis Bagdad, il eût été plus sage de sa part de faire preuve de retenue, plutôt que de verser dans la prétention.
Monsieur Mohamed Elkory, la démarcation politique des Haratines n’a d’autre ambition que de réhabiliter la dignité et la pleine personnalité de la plus grande composante du peuple mauritanien, d’une part, et d’autre part, de remettre en cause une société longtemps installée dans une complaisance à l’égard d’archaïsmes et d’anachronismes sociaux. En osant contester l’instrumentalisation des Haratines au profit d’une vision de la Mauritanie taillée sur mesure — aux relents à peine voilés de néo-esclavagisme —, il fallait s’attendre à essuyer les foudres haineuses et caricaturales de la propagande baathiste.
Fidèle à ses réflexes, celle-ci taxe les “militants de la haine” d’opportunistes exploitant l’infortune des leurs, au profit d’un prétendu agenda de déstabilisation porté par les FLAM, les États-Unis, l’Occident, Israël et la Francophonie, qui en feraient les marionnettes d’un complot extérieur. Et ce, sans qu’aucune alternative crédible et sincère ne soit proposée pour traiter en profondeur la problématique haratine, que l’on s’emploie trop souvent à dissimuler, à minimiser, voire à instrumentaliser selon les besoins du moment.
Prétextant un hypothétique bouleversement mondial, il conclut son article par une série d’interrogations orientées, aux accents alarmistes, vouant l’avenir des Haratines à l’incertitude en ca de leur démarcation politique.
Ces intimidations méprisantes révèlent un profond mépris envers l’éveil de la conscience haratine, et trahissent une vision foncièrement utilitariste de cette communauté, perçue non comme une force citoyenne à part entière, mais comme un levier d’instrumentalisation, au service d’enjeux démographiques ou politiques.
Monsieur Mohamed Elkory, si comme vous le suggerez on ne sait pas à quoi pourrait aboutir cette démarcation des Haratines, ils savent quand même d’où ils viennent et qui ils sont, pour ne plus revenir en arrière.
Au delà de ces objections, il demeure tout de même étonnant qu’un mouvement ayant pourtant mené une étude sur la problématique haratine n’ait pas jugé utile de s’interroger davantage sur les raisons objectives qui ont conduit, après soixante-quatre ans d’indépendance, à cette quête assumée de démarcation politique.
Puisque le débat sur cette question est déjà engagé sur un mode passionnel et clivé, et compte tenu de sa sensibilité, il serait sans doute plus judicieux de l’aborder avec hauteur, de le rationaliser et de l’orienter positivement, ne serait-ce que pour désamorcer les surenchères et apaiser les polémiques qui agitent la scène politique.
Dès lors, il apparaît bien plus pertinent de s’attacher à analyser les causes objectives de cette volonté de démarcation, plutôt que de s’enfermer dans des débats stériles sur sa faisabilité ou ses effets supposés.
Le 20 septembre 2025
MOHAMED DAOUD IMIGINE