Migration irrégulière vers les côtes espagnoles : Les drames se poursuivent, les départs et arrivées en baisse
La route atlantique reste la plus meurtrière pour les migrants ouest-africains malgré une baisse des départs et des arrivées. En 2025, plus de 1 800 personnes ont péri en tentant de rejoindre les côtes espagnoles.
Fin août dernier, c’est à travers les réseaux sociaux que la famille sénégalaise Ndao (nom d’emprunt) découvre le corps sans vie d’Aliou (nom d’emprunt) un des leurs. Proche de la trentaine, le jeune homme qui avait un commerce florissant s’était rendu en Gambie où tout porte à croire qu’il est monté à bord d’une embarcation pour l’Espagne.Sa famille a appris plus tard qu’il avait revendu sa boutique pour financer son projet de migration, devenu son ultime voyage sur terre. La pirogue dans laquelle il s’est embarqué, s’était échouée en Mauritanie. Plus d’une soixantaine de corps sans vie ont été retrouvés.Alors que ce drame est encore dans les esprits, un autre a été évité de justesse la semaine dernière. Cette fois-ci, les faits se sont déroulés aux larges de Ouakam, ce village de pêcheurs, niché au cœur de la capitale sénégalaise.Une embarcation avec 112 migrants clandestins à bord, a été ramenée à quai par les forces de sécurité sénégalaises. Les occupants qui rêvaient tous de débarquer en Espagne sont des candidats au »Barça » ou »Barçak », cette expression triviale qui désigne la migration clandestine (Barça) pour indiquer la destination de l’Espagne, ou le cas contraire, mourir en mer, rejoindre »Barçak » (l’au-delà en wolof).Pendant quelques jours, l’embarcation était en dérive dans les eaux sénégalaises sans moteur. Le capitaine de la pirogue l’aurait quitté emportant avec lui le moteur, abandonnant à leur sort les candidats à la migration.Cette affaire remet au goût du jour la lutte contre la migration irrégulière. Malgré les nombreuses initiatives de l’État, des organisations internationales et des ONG, des jeunes sénégalais continuent de risquer leur vie en mer, en tentant de rejoindre les côtes européennes via les îles Canaries.
Toujours des candidats, mais nettement moins de départs et d’arrivées
Durant les cinq premiers mois de l’année, quelque 110 personnes provenant des côtes sénégalaises ou gambiennes sont mortes en mer en tentant de rejoindre l’Espagne.D’après Caminando fronteras, une ONG espagnole qui compile les données sur les migrants, ce sont »1865 personnes qui sont mortes ou portées disparues à la frontière ouest-africaine en tentant de rejoindre l’Espagne durant les cinq premiers mois de l’année ». Il y a eu »38 embarcations qui ont été portées disparues avec toutes les personnes à bord, dont 112 femmes et 342 enfants sont morts » dans leur voyage périlleux pour atteindre les côtes espagnoles entre janvier et mai 2025. »La route atlantique reste la plus meurtrière avec un total de 1482 morts, soit 80 % du nombre total de décès enregistrés au cours des premiers mois de l’année 2025 » écrit Caminando fronteras dans son rapport publié en juin dernier. »Le plus grand nombre de décès a été enregistré sur la route au départ de la Mauritanie, avec 1 318 victimes durant cette période, tandis que les départs du Sénégal et de la Gambie ont causé 110 victimes » renseigne l’ONG.Cinquante autres victimes seraient parties de la zone côtière entre Agadir et Dakhla (Maroc), tandis que la route algérienne de la Méditerranée occidentale a fait 328 victimes.Par rapport en 2024, les données de Caminando Fronteras font état d’une baisse des départs et des victimes enregistrées sur la même période.Un constat conforté par le ministère espagnol de l’Intérieur qui a recensé 10 882 arrivées entre janvier et mi-mai, soit une baisse de 34,4 % par rapport à la même période l’année précédente.L’année 2024 a été particulièrement meurtrière, le nombre de victimes sur la frontière ouest-africaine s’élevant à 10457 morts dont 421 femmes et 1538 enfants, selon Caminando fronteras.La route de l’Atlantique, avec 9757 morts, reste la plus meurtrière du monde. »Les tragédies ont particulièrement augmenté sur la route de la Mauritanie, consolidant ce pays comme le principal point de départ vers les îles Canaries » lit-on dans le rapport de l’ONG espagnole.La route algérienne, dans la Méditerranée, est la deuxième plus meurtrière, avec 517 victimes.Au total, l’ONG affirme avoir recensé l’arrivée de 46 843 migrants aux Canaries en 2024, un record jamais égalé.Selon Adama Mbengue, président de l’ONG ADHA (Action pour les Droits Humains et l’Amitié), joint par BBC News Afrique, la persistance du phénomène de la migration irrégulière est liée à plusieurs facteurs. »Le chômage endémique des jeunes, le manque d’opportunités économiques viables, l’absence de perspectives sociales, mais aussi l’illusion d’un « eldorado européen » largement alimentée par les réseaux sociaux et les récits de réussite de certains migrants » seraient les principales raisons.À cela s’ajoute dit-il, »le rôle des réseaux de passeurs qui exploitent la détresse et la vulnérabilité des jeunes » car »les passeurs sont très en avances et exploitent tous les chemins par la mer (les pirogues de fortune), la terre ( la route ) et l’air ( avec la vente de visas).
Le Sénégal s’est doté d’une stratégie nationale de lutte contre la migration irrégulière
Au Sénégal, les victimes de la migration irrégulière se compte par centaines, voire milliers. Ces dernières années, le pays s’est doté d’une stratégie nationale de lutte contre le phénomène et un comité ministériel de lutte contre la migration irrégulière (CILMI) a été mis en place et dirigé par un Secrétariat permanent.La stratégie nationale repose sur cinq axes : à savoir la prévention, la gestion des frontières, des mesures de répression (contre les convoyeurs), des mesures d’aide, d’assistance et de protection, le retour et la réinsertion des migrants. »L’objectif général est de lutter contre la migration irrégulière par une gestion intégrée des frontières pour contribuer au développement économique et social » lit-on dans le document de présentation de la stratégie.En pratique, le gouvernement travaille à »l’amélioration du cadre juridique, institutionnel et organisationnel, la modernisation et l’intégration du système de gestion des frontières, le renforcement de l’assistance et la protection des migrants vulnérables.Par ailleurs, un système national de coordination des opérations et de partage d’information a été mis en place entre les différentes structures concernées et le poste de commandement mixte du ministère de l’Intérieur pour plus d’efficacité dans la lutte.
D’autres acteurs invitent à changer de paradigme
Adama Mbengue, président de l’ONG ADHA estime que la lutte actuelle souffre de plusieurs limites. »On observe un déficit de coordination entre les acteurs institutionnels, une implication insuffisante des jeunes et un manque de programmes de réinsertion crédibles pour les rapatriés ».Il regrette »une approche sécuritaire et répressive, alors qu’il faudrait davantage investir dans la prévention, la sensibilisation et surtout dans le développement économique local et la formation professionnelle adaptée au marché du travail » pour inverser la tendance.Le maire de la commune de Ouakam, Abdoulaye Aziz Gueye, prône la poursuite de la sensibilisation des jeunes. Il estime cependant que les communes doivent avoir plus de responsabilités dans la lutte contre la migration irrégulière. »Ce qu’il y a lieu de faire, c’est que chaque commune prenne ses dispositions pour empêcher des départs à partir de son territoire sur tout le long de la côte » dit-il.Si une telle proposition venait à se matérialiser, elle nécessitera davantage de moyens humains et matériels, car le Sénégal dispose de quelque 718 km de côte.
Source: abidjan.net