Une démocratie sélective fruit d’une loi liberticide
« En Mauritanie, la Loi n°2025-010 transforme l’accès aux partis politiques en obstacle liberticide. Analyse critique de Cheikh Sidati Hamadi sur une démocratie verrouillée, privant l’alternance et marginalisant les forces populaires. »
Le 19 août 2025 marque un tournant sombre pour la démocratie mauritanienne. Sous couvert de réforme, la Loi n°2025-010 impose des conditions draconiennes aux partis politiques, transformant un droit fondamental en un privilège réservé à une élite communautaire. Dans cette analyse, Cheikh Sidati Hamadi dénonce une législation liberticide qui confisque l’alternance, fragilise les droits constitutionnels et alimente une démocratie sélective, plus décorative que réelle.
Une démocratie sélective fruit d’une loi liberticide
Cheikh Sidati Hamadi – Expert senior en droits des CDWD, Chercheur associé, analyste, essayiste
Le 19 août 2025 est devenu un symbole d’une démocratie méthodiquement verrouillée en Mauritanie, où la délivrance de récépissés provisoires à cinq partis politiques agit, selon certains observateurs, comme des ralentisseurs communautaires du changement, plutôt que comme des forces capables d’apporter une alternative crédible. Cette situation illustre parfaitement le phénomène décrit par Alexis de Tocqueville dans De la démocratie en Amérique, lorsqu’il montre que la souveraineté peut être confisquée sous prétexte de servir le peuple : les règles, ici, sont manipulées pour écarter toute force réellement porteuse de changement.
La Loi n°2025-010 du 15 mars 2025, qui modifie certaines dispositions de l’ordonnance n°91-024 du 25 juillet 1991 relative aux partis politiques, impose désormais aux formations politiques l’obtention de 5 000 parrainages répartis sur au moins huit régions, transformant un droit fondamental en obstacle artificiel. Cette exigence restreint l’accès aux partis aux seuls cercles ethno-politiques dominants et exclut des acteurs majeurs comme le Parti RAG, le FPC et autres formations capables d’apporter l’alternance. Comme le souligne John Stuart Mill dans De la liberté, limiter l’action politique revient à priver la société d’un mécanisme vital pour corriger les erreurs du pouvoir ; en ce sens, la loi mauritanienne devient un instrument de sélection politique plutôt qu’un vecteur d’émancipation.
Le ministère de l’Intérieur détient désormais le pouvoir centralisé d’agréer ou de rejeter les partis, instaurant un système de parrainage obligatoire qui contredit les articles 10 et 11 de la Constitution mauritanienne de 1991, lesquels garantissent la liberté d’opinion, d’expression, de réunion et d’association, ainsi que le droit de participer au suffrage universel. Cette confiscation des droits viole également le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, en ses articles 21-25, ratifié par la Mauritanie en 1979, ainsi que la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance de 2007, en ses articles 2 et 13, qui considèrent comme illégal de priver les citoyens de leur droit de participer à la vie politique. Comme l’affirmait Albert Camus dans L’Homme révolté, la liberté reste un bagne tant qu’un seul homme est asservi, et l’exclusion des forces populaires seules capables d’apporter l’alternance en Mauritanie confirme cette réalité.
Depuis 2008, le système politique a produit une opposition domestiquée, constituée de partis satellites et de leaders dociles, donnant l’illusion d’un pluralisme. Dans ce cadre, Biram Dah Abeid, arrivé deuxième lors de trois élections présidentielles successives avec 8 % en 2014, 18 % en 2019 et plus de 22 % en 2024, incarne la force populaire réellement capable de provoquer une rupture systémique, mais il se heurte à un appareil institutionnel qui refuse l’alternance. Rousseau, dans Du contrat social, note que lorsque le peuple n’a plus rien à perdre, il devient invincible, et l’exclusion persistante de Biram Dah Abeid montre combien la marginalisation politique peut intensifier les risques de rupture sociale et de contestation.
La discrimination est manifeste : les partis agréés proviennent d’une même matrice communautaire, alors que la majorité du pays, véritable vivier de contestation, reste exclue. Hannah Arendt, dans Les origines du totalitarisme, rappelle que priver les citoyens du droit de participer au pouvoir revient à nier la liberté elle-même. Nelson Mandela, dans son discours d’investiture, précise que la liberté n’est pas l’absence de chaînes, mais la capacité de vivre dans le respect et la dignité. Cela souligne combien la concentration du pouvoir dans les mains fd’une minorité ethno-tribale et le contrôle exclusif du ministère de l’Intérieur sur les partis transgressent ces principes fondamentaux.
Conclusion
La Mauritanie ne peut tolérer un système où la démocratie se réduit à un décor et la liberté d’expression à un leurre. Refuser la pluralité transforme le pays en théâtre d’illusion politique et d’oppression institutionnalisée. Voltaire rappelait : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire », et Mandela soulignait que l’oppression ne peut jamais éliminer l’espoir d’un peuple ; cet espoir réside dans les forces populaires seules capables d’apporter l’alternance, incarnées par le Parti RAG, le FPC et autres formations, et surtout par Biram Dah Abeid leader de la coalition anti système, dont la reconnaissance populaire ne cesse de croître depuis une décennie.
Le moment est venu de revendiquer le droit inaliénable de participer pleinement à la vie politique et de briser ce verrou injuste : la liberté véritable se conquiert même face à des régimes verrouillés.
Références
- Loi n°2025-010 du 15 mars 2025 modifiant certaines dispositions de l’ordonnance n°91-024 du 25 juillet 1991 relative aux partis politiques, République Islamique de Mauritanie
- Constitution de la République Islamique de Mauritanie, 1991, Articles 10 et 11
- Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), ONU, 1966, Articles 21-25
- Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, Union africaine, 2007, Articles 2 et 13
- Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, 1835-1840
- John Stuart Mill, De la liberté, 1859
- Albert Camus, L’Homme révolté, 1951
- Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, 1762
- Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme, 1951
- Discours d’investiture de Nelson Mandela, 1994
- Voltaire, citations sur la liberté d’expression