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Mauritanie : souveraineté nationale face aux bailleurs de fonds internationaux

Quel pouvoir réel conserve la Mauritanie face aux exigences du FMI, de la Banque mondiale ou de l’UE ? Enquête sur les enjeux de souveraineté économique.

Alors que la Mauritanie bénéficie de financements importants de la part des institutions financières internationales, la question de sa souveraineté économique et politique se pose avec acuité. Entre exigences des bailleurs de fonds et impératifs nationaux, le pays tente de préserver sa marge de manœuvre.

Nouakchott – La Mauritanie, vaste pays sahélo-saharien, est aujourd’hui au cœur d’un paradoxe. D’un côté, elle multiplie les partenariats avec les grandes institutions financières — Banque mondiale, Fonds monétaire international (FMI), Banque africaine de développement (BAD), Union européenne — qui injectent chaque année des centaines de millions de dollars pour soutenir son développement. De l’autre, cette dépendance financière interroge : quelle est la véritable capacité de l’État mauritanien à tracer seul sa trajectoire économique et politique ?

Une dépendance structurelle aux financements extérieurs

Depuis le début des années 2000, la Mauritanie a vu s’intensifier les flux d’aide publique au développement. En 2023, selon les données du ministère de l’Économie, les appuis budgétaires extérieurs représentaient près de 25 % des recettes publiques. Les projets structurants, qu’ils concernent l’eau, l’énergie ou l’éducation, sont largement cofinancés par des bailleurs étrangers. La récente stratégie nationale de lutte contre la pauvreté, par exemple, a été conçue en collaboration étroite avec le FMI et l’Union européenne.

Cette présence accrue des bailleurs, souvent conditionnée à des réformes structurelles, pose la question de la souveraineté des décisions publiques. « Il ne s’agit plus seulement d’un soutien financier, mais d’une influence directe sur les orientations économiques », observe un ancien haut fonctionnaire du ministère de l’Économie, sous couvert d’anonymat.

Les réformes dictées par l’extérieur

Les experts s’accordent à dire que certains programmes imposent des réformes aux allures de conditionnalités. Réduction des subventions aux produits de base, dérégulation de certains secteurs, réformes fiscales… Autant de mesures parfois mal perçues par les populations et les acteurs locaux.

Le cas du secteur de l’énergie est révélateur. Sous la pression des bailleurs, l’État a progressivement réduit les subventions sur le carburant, entraînant une hausse significative des prix. De même, les négociations sur la réforme du secteur public impliquent une rationalisation des effectifs et des dépenses, souvent au détriment de l’emploi dans la fonction publique.

« Ce que veulent les bailleurs, ce sont des garanties de rigueur budgétaire et de stabilité macroéconomique, parfois sans tenir compte des réalités sociales », déplore l’économiste Abdallahi Ould Sidi, enseignant à l’Université de Nouakchott.

Une marge de manœuvre étroite mais réelle

Pour autant, la Mauritanie n’est pas totalement privée d’initiative. Ces dernières années, le gouvernement a réussi à imposer certains choix, notamment dans le secteur minier, où l’État reste actionnaire de référence dans la SNIM (Société nationale industrielle et minière). Le pays parvient également à diversifier ses partenaires, en s’ouvrant à la Chine, aux pays du Golfe et à la Turquie, afin de contrebalancer le poids des institutions occidentales.

En outre, la transition énergétique et l’émergence du gaz offshore (avec le projet Grand Tortue Ahmeyim) offrent à la Mauritanie une opportunité inédite d’autonomisation financière, à condition que les recettes futures soient bien gérées et équitablement redistribuées.

Quelle souveraineté pour demain ?

La souveraineté, dans le contexte actuel, ne se mesure plus uniquement à la capacité d’un État à refuser des injonctions extérieures. Elle se jauge aussi dans sa capacité à négocier, à planifier de manière autonome, et à défendre l’intérêt général face aux exigences financières. En ce sens, la Mauritanie est encore en chemin.

« Il ne faut pas idéaliser une souveraineté absolue dans un monde globalisé. Mais il est possible d’être moins dépendant, plus stratégique dans le choix des partenaires, et plus attentif à l’adhésion populaire aux réformes », conclut la politologue Fatimata Mint Bilal.

Encadré : Les principaux bailleurs de fonds de la Mauritanie (2024)

Fonds monétaire international (FMI) : appui à la stabilité macroéconomique

Banque mondiale : projets sociaux et infrastructures

Union européenne : gouvernance, justice et migration

BAD : électricité, eau, agriculture

Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) : renforcement institutionnel

Mauritanie : les défis de la réforme fiscale

Gaz offshore : vers une nouvelle indépendance financière ?
Banque mondiale et Mauritanie : une relation à double tranchant

Y.N
Pour Rapide info

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