Mauritanie Rétro / Analyse et rétrospective par Tijane Bal

Mauritanie Rétro /   Tijane Bal

C’est toujours amusant de relire des articles. Le décalage permet de juger du sens de la prospective de leur (s) auteur(s), de noter des mutations et des constantes. Dans Le Monde du 2/9/1998, Jean-Pierre Tuquoi, sous le titre La Mauritanie minée par l’affairisme et le tribalisme, constate que « La Mauritanie a ses tabous » dont « le plus sensible est l’esclavage » à ses yeux.

Comme pour faire bonne mesure, il observe néanmoins que « la presse écrite bénéficie d’une relative liberté» dans le pays et cite Cheikh Saad Bouh Kamara qui concède que «c’est une période d’éclaircie». Mais c’est pour le journaliste pour mieux noter en contrepoint une dérive. « Celle d’un pays où les démons du tribalisme et les logiques ethniques resurgissent, alimentés par le comportement de la présidence de l’Etat». Puis ces précisions pour étayer son affirmation. «Numériquement faible mais douée pour le commerce, la tribu maure des Smassides est accusée d’avoir trusté tous les postes stratégiques de l’armée et de l’administration depuis l’arrivée à la tête du pays, en 1984, de l’un des siens, Maaouiya Ould Taya». « L’économie, elle aussi, est entre les mains des Smassides» ajoute le journaliste. Est évoquée par ailleurs une « administration clochardisée et livrée à elle-même » qui « tourne à vide ». Cette fois, c’est le sociologue Abdel Weddoud qui est appelé en soutien: « Demandez un renseignement écrit à un ministère. Vous ne recevrez pas de réponse» appuie ce dernier. Au volet économie, on «apprend » que « l’aide internationale finance 80% du budget d’investissement de l’Etat» et que « 80% de la TVA collectée dans le pays est acquittée par 12 contribuables». Autre indication: « les eaux mauritaniennes comptent parmi les plus poissonneuses du globe». Mais « avec ou sans permis, plus d’un demi-millier de chalutiers battant tous les pavillons de la planète s’y livrent à une pêche débridée, peu respectueuse du renouvellement des stocks-parfois avec la complicité de responsables politiques… » déplore Tuquoi. Dans le registre social, sous le paragraphe les « gueux» d’Arafat, J P Tuquoi rapporte la mise en garde de Bachir el Hassen présenté comme un « ancien opposant» :« Le talon d’Achille du régime, le seul danger qui le menace, ce sont les habitants des bidonvilles: car ils peuvent comparer l’opulence de quelques privilégiés et leur propre dénuement». On notera que la chute du pouvoir de Ould Taya n’est pas venue directement de là. Changement d’époque et de journal. Dans Libération du 17/7/2009, Manon Rivière rapporte tout de go que « le putschiste de Nouakchott s’apprête à être élu président». Le putschiste en question, c’est évidemment Mohamed Ould Abdel Aziz, acteur principal du putsch du 6 août 2008 contre Sidi Ould Cheikh Abdallah, élu en mars 2007. Au passage, les «ambiguïtés» et le «double jeu» de la politique africaine de Sarkozy sont mis au jour. D’une part, Paris condamne le coup et d’autre part, le président Sarkozy estime en mars 2008 à Niamey que le renversement de Sidi Ould Cheikh Abdallah n’a pas « provoqué de remous dans son pays». Quant à son ministre des affaires étrangères Bernard Kouchner, cité dans un article de Thomas Hofnung, toujours dans Libération (mais du 13 avril 2009), il se contente, après avoir dénoncé à son tour le putsch, de demander à Ould Abdel Aziz de « démissionner au moins 45 jours avant l’élection présidentielle s’il souhaite s’y présenter». Putsch? Quel putsch? Fait mine de s’interroger son artisan « Ce n’est pas un coup d’Etat» assène Aziz dans un entretien à Libération du 11 août 2008. Explications : « …Depuis quelques temps, nous faisions face à un blocage des institutions démocratiques, à cause du comportement de l’ex-président de la République. Pour couronner le tout, il a décidé de démettre tous les chefs militaires. Décision que nous avons jugée irrationnelle et irresponsable. Le constat était donc celui-ci: l’ancien Président a échoué sur le plan politique, il a conduit au blocage des institutions et il a voulu s’attaquer au système militaire et sécuritaire. Par cet acte, nous pensons que Sidi Ould Cheikh Abdallahi a fait un coup d’Etat contre son propre pays». Le putschiste ne serait donc pas celui que l’on croit. CQFD. Ou l’art de « l’inversion accusatoire» comme diraient certains.

Pour la bonne bouche, ce jugement rapporté dans Libération du 17 juillet 2009. Son auteur est : « Ely, professeur de mathématiques à Nouakchott»: « En 10 mois, Abdel Aziz a fait plus que n’importe quel homme politique mauritanien en trente ans! C’est le seul capable de bâtir un Etat moderne, débarrassé de la corruption».

Tijane Bal

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