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Mauritanie : Quand les voix dissidentes s’éteignent dans les couloirs du silence carcéral

Dans une tribune percutante, Eléya Mohamed explore les métamorphoses troublantes des figures publiques mauritaniennes après leur passage par l’univers carcéral : entre pression tribale, pouvoir d’influence et silence imposé.

Moi, je demeure profondément perplexe devant cet énigmatique labyrinthe qu’est devenu l’univers carcéral mauritanien, où se croisent désormais hommes d’opinion, élus du peuple, influenceurs et amuseurs publics.
On les voit, au sommet de leur verve, tempêter, vociférer sur les les réseaux sociaux, brandir des documents qu’ils présentent comme des preuves irréfutables, élever la voix contre l’injustice, fustiger les dérives du pouvoir avec une hardiesse qui frôle parfois l’insolence héroïque.

Mais dès qu’intervient l’arrestation, le procès expéditif ou la détention arbitraire, une étrange métamorphose s’opère.
L’homme véhément d’hier redevient, à sa sortie, un être silencieux, effacé, parfois méconnaissable, au regard fuyant et aux propos désormais mesurés, comme s’il avait traversé un sanctuaire interdit où l’on apprend à taire ce que l’on croyait devoir clamer. D’autres encore choisissent la fuite discrète, l’effacement progressif, la disparition douce du paysage médiatique.

Alors une question lancinante s’impose :
Est-ce la pression invisible mais implacable de la tribu, ce socle identitaire si puissant qu’il finit par brider l’individu au nom de la cohésion clanique ?
Est-ce le poids du pouvoir traditionnel, étroitement tissé dans la trame du pouvoir étatique, qui vient murmurer des injonctions de sagesse ou d’allégeance ?
Est-ce la séduction de l’argent, des promesses feutrées, des arrangements en coulisses qui transforment les cris de révolte en chuchotements d’accommodement ?
Ou bien s’agit-il d’un calcul froid, d’un opportunisme stratégique où l’on entre en dissidence comme on entre en négociation, certain que toute tempête débouchera sur une trêve profitable ?

Ainsi, dans ce théâtre d’ombres et de silences, où l’engagement semble souvent soluble dans la compromission, je m’interroge : est-ce la peur, la lassitude, la trahison ou simplement la sagesse d’un réalisme cruel ?
Mais à force de voir les voix fortes se muer en échos discrets, on finit par douter de l’authenticité des colères, et par se demander si, dans ce pays, la vérité n’est pas toujours enchaînée avant même d’être entendue.

Eléya Mohamed

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