Mauritanie peut-elle éviter un autre dialogue infructueux ?
Le 27 novembre 2024, le président mauritanien Mohamed Ould Ghazouani a lancé un autre dialogue politique national pour renforcer la cohésion sociale et la démocratie. Cependant, les précédents dialogues ayant échoué à résoudre les problèmes majeurs du pays soulèvent des doutes quant à son succès. Les divisions sociales, la mauvaise gouvernance et les abus historiques compliquent la situation. Bien que le dialogue vise à rassembler divers acteurs politiques et de la société civile, l'opposition exprime des réserves et impose des conditions pour garantir son efficacité.
Autre dialogue
Sans garanties, le dialogue du président Ghazouani – le sixième du pays – pourrait élargir les divisions politiques qui menacent la stabilité.
Le 27 novembre 2024, le président Mohamed Ould Ghazouani a appelé à un dialogue politique national pour renforcer la cohésion sociale et consolider la démocratie en Mauritanie. En agissant ainsi, il respecte une promesse électorale et un engagement politique clé pris lors de son second mandat.
Cependant, l’opinion est partagée sur la possibilité de succès de ce dialogue, étant donné que, au cours des deux dernières décennies, cinq dialogues politiques (en 2004, 2005, 2007, 2017 et 2018) n’ont pas réussi à résoudre les problèmes fondamentaux du pays. Ceux-ci incluent les divisions sociales, la mauvaise gouvernance et la corruption, les dysfonctionnements électoraux, la persistance de l’esclavage et les conséquences humanitaires causées par les abus gouvernementaux contre les fonctionnaires et soldats mauritaniens noirs entre 1986 et 1991.
Selon des chiffres non officiels, la population de la Mauritanie est composée à 70 % d’Arabes-Berbères (30 % Beydane et 40 % Haratine) et à 30 % d’Afro-Mauritaniens (Peuls, Wolofs et Soninkés). Les Beydane sont historiquement dominants, détenant le pouvoir politique et économique.
Le parti du président et ses alliés parlementaires voient le dialogue comme une opportunité pour renforcer l’engagement entre les acteurs politiques. Mais l’opposition reste prudente, craignant que cela ne soit qu’une répétition des précédents exercices infructueux menés depuis la transition démocratique du pays en 1992.
Au cours des deux dernières décennies, cinq dialogues politiques ont échoué à résoudre les problèmes fondamentaux du pays.
Le nouveau dialogue – qui n’a pas de calendrier spécifique – répond à des appels répétés de la part des partis d’opposition cherchant une occasion de débat franc pour aider à résoudre les grands défis du pays.
La Mauritanie s’efforce de faire avancer le dialogue national depuis février, avec des négociations en cours pour sécuriser la participation d’un maximum d’acteurs politiques et de la société civile. Ghazouani a d’abord tenu des réunions avec les dirigeants de partis politiques pour encourager leur implication.
Ensuite, le coordinateur du dialogue, Moussa Fall, ancien directeur de la Banque centrale de Mauritanie et leader de la lutte étudiante des années 1970, a commencé des consultations avec diverses parties prenantes pour définir le processus et garantir leur participation. Plusieurs acteurs politiques ont déjà soumis leurs propositions pour la feuille de route du dialogue.
Cependant, certains leaders de l’opposition ont énoncé des conditions qui doivent d’abord être acceptées pour garantir le succès du dialogue. L’Union des Forces de Progrès exige que Ghazouani garantisse la mise en œuvre des décisions du dialogue et établisse un mécanisme de suivi consensuel pour s’assurer que des actions soient prises.
Le parti Alliance pour la Justice et la Démocratie appelle à la reconnaissance officielle des langues nationales, au retrait de la loi-cadre de l’éducation nationale et à l’abrogation de la loi sur les partis politiques. Cette dernière loi a été critiquée pour avoir donné au ministre de l’Intérieur des pouvoirs excessifs pour reconnaître et dissoudre des partis politiques.
Le dialogue devra aborder des questions sensibles telles que la discrimination raciale, les abus historiques et l’esclavage.
Le rejet le plus notable du processus de dialogue jusqu’à présent vient de Biram Dah Abeid, leader de l’Initiative pour la Résurgence du Mouvement Abolitionniste, qui milite contre l’esclavage. Abeid a été deuxième aux élections présidentielles de 2014, 2019 et 2024, et exige la reconnaissance officielle de son parti. Il veut également des garanties que le gouvernement résoudra le cas des jeunes tués lors de manifestations à Kaédi suite à l’annonce des résultats électoraux de 2024.
Abeid insiste également sur la transparence tout au long du dialogue, des promesses que ses décisions seront mises en œuvre et la nomination d’un organisme neutre pour superviser le processus, plutôt que le ministère de l’Intérieur.
Le dialogue devra faire face à des opinions profondément opposées sur des questions sensibles telles que les langues nationales, la discrimination raciale, les abus humanitaires historiques et l’esclavage.
Les nationalistes arabes en Mauritanie soutiennent que l’ouverture de ces questions au débat pourrait menacer l’identité et la cohésion nationale du pays. Leurs récentes réactions sur les réseaux sociaux et dans la presse témoignent de leur détermination à s’opposer à toute discussion à ce sujet.
Pendant ce temps, les militants mauritaniens noirs et l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste estiment que ce dialogue ne sera pas différent des précédents. Selon eux, les dialogues passés n’ont fait que gagner du temps aux gouvernements successifs, car ils n’ont pas réussi à mettre en œuvre les décisions et solutions proposées.
Les activistes et les partisans du mouvement d’Abeid exigent des garanties que les débats aborderont toutes les questions sans restriction, y compris la construction de la cohésion sociale et la fin des pratiques d’esclavage. Ils souhaitent également l’engagement personnel du président à mettre en œuvre les recommandations du dialogue.
Malgré ces nombreuses réserves, le gouvernement continue d’avancer pour encourager la participation. L’opinion publique et les forces démocratiques en Mauritanie soulignent généralement la nécessité d’un accord national pour résoudre les questions divisives qui menacent la paix, l’unité et la justice du pays. Le dialogue prévu a le potentiel d’offrir des solutions. Ghazouani a cherché à rassurer le 11 mars, lorsqu’il a rencontré les dirigeants des partis de la majorité et de l’opposition, exprimant son engagement à organiser un dialogue qui résoudrait les problèmes fondamentaux d’unité nationale et de bonne gouvernance. Mais pour rompre avec la tradition des dialogues ponctuels qui n’aboutissent à rien, les autorités doivent faire plus que de simples annonces.
Le succès de cette initiative dépendra de sa capacité à aborder les questions sensibles de front à travers un processus transparent et inclusif. Un mécanisme de suivi indépendant, sur lequel tous les participants s’accordent, est essentiel pour garantir que des actions concrètes soient prises en réponse aux décisions du dialogue.
Sans changement significatif, le dialogue de Ghazouani risque d’approfondir les divisions politiques qu’il vise à réconcilier, menaçant ainsi la stabilité en Mauritanie.
Hassane Koné
Chercheur senior, Bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel.
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