Mauritanie : « Palestine » de ses négro-mauritaniens ? Par Pr ELY Mustapha
Depuis quelques jours circule sur le net un vif débat attisé par des prises de position entrainant réactions et contre-réactions. Toujours est-il qu’il porte sur le parallèle fait entre la situation des négro-mauritaniens en Mauritanie et celle de palestiniens en territoires occupés.
S’il est vrai qu’il est inconcevable d’interdire à quiconque d’exprimer ses idées, il est tout autant inconcevable de s’attaquer à la vie, à la dignité ou à la carrière de celui qui les exprime. Tel l’appel au boycott des cours de cet universitaire, pour ce fait.
Toutefois, en toutes choses, on ne compare que ce qui est comparable, et la Mauritanie, n’est, et ne peut-être, une image de la Palestine occupée, ni par les horreurs, ni par les meurtres, ni par les bombardements, ni par l’encerclement, ni par les suppliciés et les milliers d’incarcérés, ni par l’apartheid, ni par l’encerclement mortel des populations, ni par les snipers de la mort, ni par les barbelés empoisonnées, ni par les lignes haute tension séparant les communautés, ni par la haine, ni par la cruauté, comparable…à Israël.
Car si un tel raisonnement est tenu par certains, c’est justement ce résultat auquel on veut arriver. Or ce raisonnement ne tient ni en droit, ni en fait.
Mais alors qui tient ce raisonnement ?
Des négro-mauritaniens.
Pourquoi le tiennent-ils ?
Parce que le parallèle leur semble justifié.
Où veulent-ils en arriver ?
Dénoncer la situation du négro-mauritanien dans son pays.
Mais si le but est noble, la manière, elle, ne l’est pas. Et voilà pourquoi.
En effet, nous avions durant ces vingt dernières années écrit une multitude d’articles sur le devenir du pays et la souffrance de ses populations sous les régimes militaires et nous avions dénoncé la frustration grandissante des négro-mauritaniens du fait de politiques d’exclusion manifestes de tous les rouages de l’Etat mauritanien. Et aucun secteur n’y échappe : l’armée, la sécurité, l’économie, le commerce, la pêche, l’industrie, l’administration publique et les entreprises publiques etc.
Depuis le régime de oud Haidalla, jusqu’à celui d’Aziz, en passant par celui de Taya, la présence des négro-africains tant dans la superstructure que dans l’infrastructure s’est réduite comme une peau de chagrin.
Ayant moi-même audité des structures publiques en Mauritanie, ces dernières années et visité bien d’autres, le pourcentage des fonctionnaires et des employés publics négro-africains y est très faible.
J’ai aussi ressenti, moi vieux Nouakchottois, ayant partagé mon enfance avec mes fiers amis négro-africains, lors de mes visites récentes, une frustration non dissimulée chez ces derniers et même une véritable lassitude.
Que s’est-il donc passé pour que la population négro-mauritanienne se retrouve dans cette situation ? Il y a deux raisons à cela.
La première relève de la politique des régimes militaires précités derrière lesquels ont manœuvré des mouvements baathistes et panarabiques, allant jusqu’à déstabiliser le système éducatif et les valeurs de tolérance et de solidarité de la société mauritanienne prévalant depuis l’indépendance. Ce qui a conduit aux déportations de négro-mauritaniens au Sénégal et aux politiques de recensement qui ont verrouillé l’accès à l’état civil mauritanien, excluant ainsi des populations vivant en Mauritanie et à l’étranger.
La seconde raison relève du comportement des négro-mauritaniens eux-mêmes. En effet, suite aux événements des années 90 et de ceux précités qui ont suivi, il y eut un véritable mouvement de départ de l’intelligentsia négro-mauritanienne, vers l’étranger, fuyant les exactions sous Taya et autres succédanés militaires. Les organisations internationales, et bien des pays occidentaux comprenant leur situation et leurs revendications leur ont largement ouvert l’emploi et le recrutement. C’est ainsi que la population négro-mauritanienne a subi depuis les années 90 une véritable hémorragie humaine qui a emporté ses forces vives, son intelligentsia.
Cette dernière pensant opérer de l’extérieur s’est vue fermer la porte par les régimes successifs, qui se sont ensuite attelé à la saper et à la réduire, en instaurant le fameux recensement administratif avec les conséquences que l’on sait sur la neutralisation des mauritaniens de l’étranger en leur refusant l’accès à l’état civil.
Je me souviens que, personnellement, candidat déclaré aux élections présidentielles de 2005, j’ai dû retirer ma candidature en protestation à la décision de Président du CMJD, Ely ould Mohamed Vall, de ne pas autoriser le vote des mauritaniens de l’étranger. C’est autant dire que la marche de l’exclusion avait déjà pris sa vitesse de croisière…
Loin des yeux loin du cœur.
La situation des négro-mauritaniens est, aujourd’hui ce qu’elle est. Et ce qu’elle est, est en résumé ce qui suit :
– Une population négro-mauritanienne dans son propre pays mais vidée de son intelligentsia et de ses forces intellectuelles vives. Ces forces qui devaient émuler les populations, les encadrer, les éduquer politiquement et les conduire à la participation au politique et à l’exercice du pouvoir.
– Une population assagie par des régimes militaires qui font du saupoudrage de quelques « nègres politiques » consentants sur quelques postes publics pour faire croire que la population négro-mauritanienne est associée à la politique de l’Etat. Alors que ce ne sont que des faire-valoir, des mobilisateurs de populations négro-mauritaniennes lors des élections au profit de leurs maitres militaro-politiques tenant au pouvoir. En somme, ils monnayent les intérêts de leurs populations pour des postes publics limités.
Cette situation est certes des plus répréhensibles et constitue aujourd’hui, l’essence même de toute la frustration de la population négro-mauritanienne, qu’exprime principalement sa diaspora. Mais c’est une diaspora impuissante, car hors de l’arène politique nationale, là où tout se décide et où tout se trame. Loin des yeux loin du cœur.
Cela est d’autant plus critique qu’aucune jeunesse négro-mauritanienne n’a pris la relève du fait d’abord du système éducatif médiocre instauré par les régimes militaires pour empêcher toute promotion sociale et toute prise de conscience par l’éducation construisant un intellect bien formé et capable de saisir les réalités du pays et la condition des populations. Cette situation, qui a tout autant porté sur la population maure, fait que les régimes militaires ont neutralisé la population négro-mauritanienne.
Enfin, le barrage fait à la diaspora pour l’empêcher de revenir ou de participer aux affaires du pays (expulsions, déportation, recensement), s’est encore aggravé avec le temps. Car la diaspora mauritanienne, ayant quitté depuis ces 30 dernières années, est à sa deuxième sinon sa troisième génération à l’étranger. Ce qui signifie que la véritable intelligentsia qui a souffert et qui a fait de son but un retour au pays a vieilli et ne trouve pas les conditions tant humaines que matérielles pour cela, tandis que leurs enfants de la deuxième et la troisième génération s’ils n’ont pas fait déjà leur vie à l’étranger n’ont plus forcément la volonté de revenir dans un pays qui les rejette ni combattre pour cela.
Aussi si la discrimination existe en Mauritanie, ce n’est pas entre les communautés, maure, poular, ouolof et Soninké, qui ont eu tout le temps la volonté de vivre en harmonie, c’est plutôt une minorité militaro-mercantile soutenue par une classe de vils courtisans et une opposition du ventre qui tient les rênes du pouvoir et qui depuis plus de 40 ans fait sa loi.
Aussi ce qui arrive à la population négro-mauritanienne et que l’on a maintes fois dénoncé vient simplement du fait que les régimes militaires successifs ont pratiqué la politique de la terre brûlée, en coupant cette population de son cœur battant, ses intellectuels, sa diaspora.
Toutefois, vouloir traiter la question avec les paramètres d’appréciation d’une entité sioniste, d’apartheid et de crimes contre l’humanité, pour qualifier ce qui advient à la population négro-mauritanienne est totalement erroné.
Quant à la Palestine, c’est une cause sacrée pour tous les musulmans que nous sommes, arabo-berbères et négro-mauritaniens. Et la défense du premier lieu cardinal de l’Islam et la sacralité d’El Qods, nous incombent tous, quels que soient les différends qui nous opposent avec le régime en place. Et le négro-mauritanien n’est ni dans les conditions du palestinien en souffrance, ni sur la terre brûlée de Palestine.
Et il n’y a lieu de comparer que ce qui est comparable.
Pr ELY Mustapha