Mauritanie : opposition dans l’opposition
Mauritanie : opposition dans l’opposition
La scène politique mauritanienne connaît actuellement un calme qui ressemble fort à celui qui précède la tempête. Si, côté majorité, on savoure toujours le triomphe aux élections municipales, législatives et régionales, l’opposition, elle, est traumatisée par ses propres contradictions exacerbées sans doute par les «bons» résultats des uns et la descente aux enfers des autres.
La crise actuelle au sein de l’opposition a pour cause directe le «pacte» politique que deux formations, non représentées au parlement, viennent de sceller avec le parti au pouvoir, El Insaf, avec la bénédiction, semble-t-il, du président Mohamed Ould Cheikh El-Ghazouani. Si toute formation politique a le droit de choisir ses alliances, de circonstance ou non, les partis «émergents» au sein de l’opposition mauritanienne (RAG-IRA de Biram Dah Abeid, candidat déclaré à la présidentielle de 2024 et le Frud, constitué de personnalités indépendantes et de dissidents d’IRA, accusent le Rassemblement des forces démocratiques (RFD) et l’Union des forces de progrès (UFP) de faire le jeu du pouvoir par cette alliance contre-nature. Le parti islamiste «Tawassoul», premier parti d’opposition par la représentation parlementaire (11 députés) hésite à prendre position, ne blâmant pas, ouvertement, cette alliance contre-nature entre un parti au pouvoir et des formations se réclamant haut et fort de l’opposition mais reconnaissant le caractère «insolite» d’une telle démarche.
Pourtant, le Vice-président de l’UFP, Lô Gourmo, prend la défense de cette démarche dans une interview accordée à Le Calame. L’initiative de reprendre langue avec le pouvoir est prise après l’«expérience d’interruption brutale du dialogue à l’initiative de deux ou trois partis et sensibilités politiques (qui avaient participé jusqu’au bout à tous les débats, après bien des tractations notamment avec Biram )» (…). Elle «va amener l’UFP et le RFD à reprendre l’initiative d’une relance des discussions en vue d’une Entente nationale sur la base des acquis de l’initiative du dialogue précédent et de celle de la Feuille de Route qui l’avait précédée et dont la poursuite avait également été stoppée net à la phase cruciale de sa mise en œuvre en vue d’une Charte nationale, par certains courants politiques.» Lô Gourmo reconnait cependant que les interrogations de l’opinion «sont tout à fait légitimes, en raison de la non publication de l’accord (ce qui favorise une campagne de fausses informations et de manipulation d’une rare intensité) et de son format (seul 3 partis politiques et le Gouvernement en furent les initiateurs).»
La «nouvelle opposition» (la «vieille» étant formée par les deux partis qui négocient avec le pouvoir et l’APP de Messaoud Ould Boulkheir, ancien président de l’Assemblée nationale) crie à la trahison. Elle ne comprend surtout pas comment des partis sortis des dernières élections avec zéro député peuvent parler en son nom ! Pour Biram Dah Abeid, il ne peut s’agir que d’une manœuvre du pouvoir tentant de diviser l’opposition à la veille de l’élection présidentielle de 2024 et de poursuivre l’agenda politique entamé avec les «concertations», d’avant élections municipales, législatives et régionales, pour lesquelles le ministère de l’Intérieur et de la Décentralisation avait choisi une «short list» (25 partis reconnus) sur une cohorte de 100 qui réclament leur existence par le simple régime déclaratif !
C’est pour dire que la rentrée politique prochaine risque d’être très chaude. L’apaisement dont le président Ghazouani s’est fait le chantre, dès sa déclaration de candidature, en mars 2019, n’est apparemment plus de saison. La bipolarité politique «majorité – opposition» reprend ses droits avec de nouveaux acteurs et des enjeux différents de ceux de la décennie 2009-2019 et même de l’ére Taya (1984-2005). Si la politique, comme activité et comme «business» a toujours montré qu’elle fait vivre son homme, elle tend à convaincre, ces jours-ci, qu’elle peut également provoquer l’irréparable… Quand les ambitions dépassent le simple cadre de l’alternance ! Quand la majorité rejette toute idée de partage du pouvoir avec l’opposition, elle n’enfreint nullement la sacrosainte règle qui préside au jeu démocratique en cours dans la plupart des systèmes républicains, mais elle entretient la confusion autour du lien qu’elle établit entre ce refus et l’absence de dialogue souhaité – souhaitable – sur les grandes questions d’intérêt national. Quand l’opposition fustige la manière dont le gouvernement mène les affaires du pays, elle joue «admirablement» bien son rôle mais «ce n’est pas à elle de dicter la bonne conduite à celui que le peuple à choisi», lui rétorquent les partisans du pouvoir. Inutile, pour cette opposition, de rester accrochée à des élections qui, même truquées, relèvent maintenant du passé. La précaution qui vaille était à prendre avant d’accepter de descendre dans l’arène.
La concertation – ou dialogue – qui sortirait le pays de la mauvaise passe qu’il traverse actuellement, doit être privilégié clament les deux parties, même si elles savent qu’il y a peu de chance qu’elles s’assoient, à nouveau, autour de la table avant une présidentielle dont la précampagne est bien lancée.
Par Mohamed Sneïba, Correspondant permanent – Nouakchott
Source: afrimag.net