Mauritanie : Loi sur les partis politiques, un recul démocratique et le risque du désert politique
La nouvelle loi sur les partis menace la démocratie, favorise l’arbitraire et risque de plonger le pays dans un désert politique, mettant en danger le pluralisme et la voix du peuple.
I. Une loi qui replie la démocratie sur elle-même
La Mauritanie n’est pas née d’hier à la politique. Le multipartisme, arraché de haute lutte dans les années 1990, fut le fruit d’une contestation longue, douloureuse, marquée par les sacrifices d’hommes et de femmes qui voulaient simplement respirer un air différent de celui des dictatures militaires.
Or voilà que la nouvelle loi sur les partis politiques, promulguée récemment, fait souffler un vent contraire. Derrière les formules juridiques policées, on sent poindre une vieille tentation : celle d’un État qui contrôle, filtre, sélectionne, verrouille.
« Une loi scélérate », tranche Gourmo Lô, juriste reconnu et figure intellectuelle de l’opposition. Scélérate, car elle ne cherche pas à encadrer, mais à étouffer. Scélérate, car elle remplace une législation déjà stricte par un mécanisme plus proche des années noires où l’on parlait de pluralisme comme d’une menace pour l’ordre établi.
II. Pas une question de sang, mais de droit
Beaucoup, dans les salons de Nouakchott ou dans les débats en ligne, ont crié au racisme : « Encore une fois, ce sont les Bidhane qui se partagent la scène ! Encore une fois, les autres communautés sont effacées ! »
Un cri légitime, mais qui, selon Gourmo, ne touche pas le cœur du problème.
« Y a-t-il eu un seul parti dirigé par un Hartani ou un négro-africain qui a déposé une demande et qui a été rejeté ? Non », martèle-t-il.
Ce constat froid change la perspective. Le problème n’est pas que la loi cible une ethnie contre une autre. Le problème est qu’elle s’attaque à l’ensemble du champ politique, qu’elle met tout le monde à genoux. L’UNAD, dirigée par un Bidhane, a subi le même sort que le RAG ou le FPC. Ici, l’ethnie n’explique pas tout : c’est le droit qui est piétiné.
III. Les refus de Biram et de Samba Thiam : un acte de dignité
La scène est connue. Le RAG de Biram Dah Ould Abeid, symbole de la lutte abolitionniste, et le FPC de Samba Thiam, voix puissante des Halpulaar, avaient rempli toutes les conditions légales de leur époque. Mais l’administration et la justice leur ont fermé la porte au nez. Pas d’agrément, pas d’existence légale.
Quand la nouvelle loi est arrivée, leur réponse fut immédiate : « Pourquoi redemander ? Pourquoi nous humilier à quémander une deuxième fois ce qui nous est déjà dû ? »
Dans un quartier populaire de Nouakchott, un jeune militant raconte avec amertume :
– « Mon père a marché pour que ce parti existe. On nous a dit qu’il avait rempli toutes les conditions. Et maintenant, on veut que nous recommencions comme si de rien n’était ? Non. On n’est pas des mendiants. »
Le refus de Biram et de Samba Thiam est plus qu’un geste politique. C’est un acte de dignité. Refuser de jouer dans une mascarade, c’est affirmer qu’on n’accepte pas que la loi devienne une arme d’exclusion.
IV. L’arbitraire comme règle du jeu
En vérité, cette loi n’est qu’un prolongement d’un système arbitraire. Depuis des décennies, le pouvoir en Mauritanie change les règles du jeu selon son humeur. Aujourd’hui, il multiplie les critères techniques pour limiter l’émergence de nouveaux partis ; demain, il inventera d’autres filtres.
Un commerçant du marché de la capitale, qui ne connaît rien aux subtilités juridiques, le résume d’une phrase en pesant ses tomates sur une balance en fer rouillée :
– « Chez nous, le pouvoir, c’est comme ma balance. On peut toujours la pencher d’un côté ou de l’autre, selon qui vient acheter. »
La métaphore est cruelle, mais exacte. Ce qui devrait être la règle égale pour tous devient un instrument de domination.
V. Le désert politique : un risque pour tous
Ce verrouillage n’est pas une tragédie pour une seule communauté. C’est une tragédie nationale. Car en privant le pays de partis divers, enracinés dans ses réalités sociales et culturelles, on fabrique un désert politique.
Dans les quartiers périphériques de Nouakchott, les jeunes sans travail qui trouvaient dans les partis une plateforme pour exprimer leur colère voient disparaître leurs relais. Dans les villages du fleuve, des paysans qui espéraient porter leurs revendications dans des structures politiques se retrouvent orphelins.
Et quand la parole légale disparaît, c’est l’ombre de la parole illégale qui grandit. Quand on ferme les portes des partis, on ouvre celles de la colère brute.
VI. Une lutte qui doit dépasser les clivages
C’est ici que le propos de Gourmo Lô devient essentiel. Car il refuse la division. Il refuse de réduire la lutte à une guerre de communautés.
Oui, les Haratine souffrent encore d’une marginalisation historique. Oui, les Négro-Africains ont subi des décennies d’exclusion politique. Mais sur cette question précise, dit-il, la clé n’est pas l’ethnie. La clé est le droit.
Et c’est là que se trouve la vraie force : unir les exclus de toutes origines contre une loi qui mutile la démocratie. Le combat doit être celui de tous les Mauritaniens. Pas celui des uns contre les autres.
VII. Appel à la conscience : pour un véritable pluralisme
La Mauritanie peut choisir de continuer sur la voie de la régression, de l’étouffement, du retour en arrière. Ou bien elle peut refuser la loi scélérate, se lever, parler, crier, pour exiger que le pluralisme redevienne une réalité vivante.
Un vieil homme, vendeur ambulant, pose la question en termes simples, entre deux gorgées de thé amer :
– « À quoi sert un pays si chacun doit se taire ? »
C’est la question qui traverse les rues, les marchés, les villages. Et c’est la question qui doit hanter les consciences des dirigeants.
Car si le peuple est privé de partis, il trouvera d’autres manières de s’exprimer. Et ce jour-là, il sera trop tard pour dire qu’on ne savait pas.
Conclusion : défendre le droit, pas seulement une communauté
Les propos de Gourmo Lô ont l’austérité d’un raisonnement juridique, mais ils portent une leçon politique et sociale immense : la démocratie n’est pas une affaire de sang ou d’ethnie. Elle est une affaire de droit.
La Mauritanie a déjà connu les silences imposés, les oppositions muselées, les sociétés civiles bâillonnées. Faut-il répéter ce cycle éternel ? Faut-il retourner dans le désert politique où l’unique voix permise est celle du pouvoir ?
Le débat est ouvert, et l’histoire jugera. Mais une chose est certaine : ceux qui, comme Gourmo, refusent l’illusion des divisions et pointent le vrai coupable, _ l’arbitraire juridique _ portent en eux la seule chance d’un sursaut.
Et si la Mauritanie veut éviter de replonger dans ses vieux démons, elle devra un jour écouter ces voix qui disent tout haut ce que les marchés, les ruelles et les villages murmurent déjà : « Sans droit, il n’y a pas de démocratie. Sans partis, il n’y a pas de peuple. »
Par Khorb Eguenatt
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