Mauritanie : Les “tout-droit” en sursis – chronique d’un adieu sans arrivée
Annoncés pour être remplacés par 5 000 véhicules neufs, les célèbres “tout-droit” mauritaniens attendent toujours leur retraite officielle. Entre nostalgie mécanique et promesses envolées, Mohamed Ould Echriv livre une chronique sensible d’une réforme suspendue.
Ah… les tout-droit. Ces corbillards enthousiastes, carcasses métalliques d’un autre siècle, échappées roulantes d’une époque où l’on tenait l’homme droit et la trajectoire figée, ces souvenirs ambulants que l’on aurait pu troquer contre vingt anciennes ouguiyas au coin d’un faubourg, viennent de se voir promis un adieu officiel. Promis, oui. Proclamé, même — depuis avril, par la voix solennelle du ministre des Transports, Ely Ould Veirik, qui dans un élan de rationalité modernisante, annonçait le remplacement de cette flottille préhistorique par 5 000 véhicules flambant neufs.
Mais voilà : nous sommes en fin juillet, et sur le goudron, toujours rien. Pas même une clef de contact, pas une plaque minéralogique. Selon la mythologie hassanienne, lorsqu’une décision annoncée avec fracas disparaît sans laisser de trace, on dit qu’elle a été mordue par « Bougereyès » — ce démon ailé qui dévore les annonces, transforme les décrets en poussière, et disperse les promesses comme le vent disperse le sable sur le tronçon des poteaux d’Arafat.
Car les tout-droit, ce n’étaient pas de simples véhicules. C’était une liturgie mécanique, un rituel urbain. Le chauffeur, demi-bricoleur, tenait les rênes d’une destinée linéaire où les virages étaient une hérésie. Le passager, humble croyant, montait sans savoir où il descendrait, confiant en cette foi invisible qui liait la capitale à ses marges. Le « garage mythique », tapi derrière le marché de la Capitale, exhalait l’encens mêlé de gasoil, de graisse brûlée et de verbe haut — une véritable « madrassa » de la débrouille où s’enseignaient les sciences occultes de la surcharge et de l’itinéraire improvisé.
Mais aujourd’hui, les vétérans du volant attendent. L’appel d’avril est resté un mirage, et les plus anciens commencent à murmurer que cette réforme est une ligne droite sans destination.
Qui, alors, redistribuera les clés du royaume routier ? Les fils des anciens chauffeurs qui ont cousu leur destin dans les coutures effilées des sièges défoncés ? Ou bien quelque créature surgie des bureaux climatisés, dotée de « feu vert » administratif et de comptes bien garnis ? Qui fixera les nouvelles routes ? Le compas du souvenir ou la règle de l’appel d’offres ?
La nostalgie, murmure-t-on dans les hautes sphères, n’est pas un programme de gouvernement. Peut-être. Mais elle est une donnée politique, une mémoire collective sur quatre roues, qu’aucune flotte neuve, ne pourra remplacer sans accompagner la communauté de ses chauffeurs, de ses clients et de ses odeurs. Car dans chaque tout-droit, il y avait un monde.
Et si Ely Ould Veirik veut vraiment tourner la page, il devra d’abord comprendre que l’ancien chapitre n’a pas encore été lu jusqu’au bout. Car toute ligne droite a un passé courbe.
Alors oui, modernisons. Mais qu’on laisse au moins un garage vivant, un musée roulant, où les enfants pourront apprendre que jadis, on allait « tout droit » non par logique, mais parce qu’il n’y avait pas d’autre choix.
Il ne reste qu’à souhaiter — si tant est que ce nouveau parc finisse un jour par voir le jour, qu’il ne remplacera pas seulement la ferraille, mais réenchantera la route — avec, peut-être, un petit détour pour le client.
Mohamed Ould Echriv Echriv