Accueil |

Mauritanie : le très discret Mohamed Ould Ghazouani, nouveau président en exercice de l’Union africaine.

Mauritanie : le très discret Mohamed Ould Ghazouani, nouveau président en exercice de l’Union africaine.
Cet homme de consensus apparaît comme le candidat idéal pour relancer les discussions avec les régimes putschistes au Mali, au Burkina Faso et au Niger, pour l’heure suspendus de l’organisation panafricaine.

Fidèle à la rigueur militaire héritée d’une vie passée à la tête de l’armée mauritanienne, Mohamed Ould Ghazouani s’est avancé d’un pas décidé à la tribune de l’Union africaine (UA), samedi 17 février. Il y a prononcé, droit comme un i, son premier discours en tant que président en exercice de l’organisation panafricaine. Pourtant, c’est à reculons que le président mauritanien a accepté de prendre cette responsabilité pour l’année à venir.

Courtisée par ses voisins d’Afrique du Nord, qui avaient la charge de désigner l’un des leurs pour assurer la présidence tournante de l’UA en 2024, la Mauritanie a fini par céder au dernier moment pour éviter le blocage de l’institution. Dans une région où les voisins algérien et marocain sont à couteaux tirés, le pays s’est imposé comme un choix du compromis, avec à sa tête un homme de consensus, sans ennemi déclaré, apprécié de ses pairs et des partenaires internationaux.

Considéré comme un leader discret voire taiseux, Mohamed Ould Ghazouani n’a pas trahi sa réputation lors de sa prise de parole devant l’assemblée générale, à Addis-Abeba. D’un ton monocorde, il a égrainé les enjeux de l’UA cette année (moderniser l’éducation, approfondir la zone de libre-échange africaine, assurer la sécurité alimentaire) avant de s’animer en évoquant l’explosion des foyers de violences en Afrique. De conflits comme la guerre civile au Soudan, l’escalade militaire entre le Rwanda et la République démocratique du Congo (RDC) et les fortes turbulences dans la Corne de l’Afrique auxquelles l’UA peine à répondre.

Le président mauritanien n’a pas non plus manqué de souligner que « la région du Sahel est l’une des zones les plus exposées du continent à ces risques ». La crise qui touche la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) – dont le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont annoncé leur retrait –, explique en partie le peu d’entrain de Mohamed Ould Ghazouani à prendre la présidence tournante de l’UA.

Maître de l’appareil sécuritaire

Celui qui fait l’unanimité aussi bien au Maghreb qu’au Sahel, où il prend soin d’afficher sa neutralité, « sera obligé de se mouiller dans ce dossier », confie un diplomate mauritanien sous le couvert de l’anonymat. En effet, son prédécesseur à la tête de l’UA, le Comorien Azali Assoumani, a enchaîné les échecs dans ses tentatives de médiation avec les putschistes. Le président mauritanien apparaît comme le candidat idéal pour maintenir ouvert le canal de discussion, notamment car la Mauritanie a fait partie de la Cedeao jusqu’en 2000, privilégiant par la suite l’Union du Maghreb arabe (UMA).

« De tous les chefs d’Etat du continent, c’est celui qui connaît le mieux la menace terroriste et les dynamiques au Sahel. Il est capable de parler à tous les acteurs », continue le diplomate mauritanien. Toute sa carrière, Mohamed Ould Ghazouani a combattu le terrorisme en tant que chef des renseignements, chef d’état-major de l’armée, ministre de la défense puis président de la République depuis 2019. La Mauritanie fait figure d’exception à cet égard. Aucun attentat islamiste n’y a été commis depuis treize ans.

C’est en maître de l’appareil sécuritaire que l’homme fort de Nouakchottt a d’abord fait ses preuves. Diplômé de l’Académie royale militaire de Meknès, au Maroc, il a gravi les échelons de l’armée dans l’ombre du président Mohamed Ould Abdel Aziz, son prédécesseur, qu’il fréquente depuis leurs études militaires communes. Il sera notamment à ses côtés lors du coup d’Etat de 2008.

Au moment du passage de témoin entre les deux présidents, en 2019, beaucoup ont cru que Ghazouani, de caractère réservé, serait la marionnette d’Aziz. Mais, moins d’un an plus tard, le nouveau président a procédé à un nettoyage de l’administration précédente. Et à l’issue du « procès du siècle », Mohamed Ould Abdel Aziz a été condamné en décembre 2023 à cinq années d’emprisonnement pour « enrichissement illicite » et « blanchiment ».

Apprécié par Emmanuel Macron

En juin, Mohamed Ould Ghazouani devra remettre son mandat en jeu lors de l’élection présidentielle. Il s’y présente en favori après la large victoire de son parti, El Insaf (le Parti de l’équité), aux législatives l’an dernier, qui l’ont vu rafler 107 des 176 sièges à l’Assemblée nationale, non sans la contestation des partis d’opposition. Issu de l’influente tribu maraboutique des Ideiboussat, le chef de l’Etat est progressivement parvenu à contrôler le système politique maure (la communauté dominante), le plus riche et le plus puissant de ce pays multiethnique où les arrangements politiques sont faits de subtiles alliances entre tribus.

Paris verrait d’un bon œil sa réélection. Mohamed Ould Ghazouani est apprécié par Emmanuel Macron, qui considère la Mauritanie comme un îlot de stabilité et un pilier de la lutte antiterroriste dans une région où la France est en recul. Récemment, Nouakchott s’est rapproché de Bruxelles, qui collabore avec les services de sécurité mauritaniens pour gérer les flux migratoires. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a annoncé début février un soutien financier de 210 millions d’euros pour aider la Mauritanie à sécuriser sa frontière avec le Mali et surveiller ses côtes, longées par les embarcations de migrants qui tentent la traversée vers les îles Canaries.

Noé Hochet-Bodin (Addis-Abeba, envoyé spécial LeMonde )
Source: LeMonde

Articles similaires