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Mauritanie : entre justice et politique, l’équilibre incertain d’un procès hors normes

Mauritanie : entre justice et politique, l’équilibre incertain d’un procès hors normes

Depuis novembre 2024, la justice mauritanienne est au centre de toutes les attentions. À la barre, Mohamed Ould Abdel Aziz, ancien chef d’État, jugé pour corruption et enrichissement illicite. Un procès exceptionnel à plus d’un titre, tant par la stature de l’accusé que par ses implications politiques et institutionnelles. Et une question, en toile de fond : s’agit-il d’un procès de droit ou d’une joute politique maquillée en procédure judiciaire ?

L’ancien président n’a cessé de clamer son innocence, invoquant l’article 93 de la Constitution qui, selon lui, le place hors de portée des tribunaux ordinaires. À ses yeux, seule la Haute Cour de justice pouvait légalement instruire ce dossier. Ce point de droit, loin d’être anodin, cristallise une bataille d’interprétations juridiques où chaque camp trouve dans le même texte en matière à légitimer sa position.

La justice, elle, avance que les faits reprochés relèvent d’un enrichissement personnel et non de fonctions présidentielles. Une distinction technique, mais capitale, permettant de contourner l’immunité que confère la Constitution à un ancien chef de l’État. Une lecture validée, ou du moins non invalidée, par le Conseil constitutionnel, dont l’avis récent reste sujet à débat.

Le climat dans lequel se déroule ce procès est révélateur d’un pays en pleine mutation démocratique. Car si ce procès soulève des inquiétudes sur le respect des droits de la défense, il révèle aussi une volonté nouvelle : celle de faire répondre les puissants de leurs actes, même les plus hauts responsables. C’est une première en Mauritanie, et pour certains, un précédent salutaire.

Mais la justice ne peut s’épanouir que dans un cadre où l’indépendance est garantie, et la perception publique, neutre. Or, les doutes soulevés par certaines ONG et la division des observateurs internationaux montrent que ce procès reste perçu, à tort ou à raison, comme entaché de calculs politiques. L’image d’une justice instrumentalisée hante encore les esprits.

Dans les rues de Nouakchott comme sur les plateaux de télévision, l’opinion est fragmentée. Certains saluent un pas vers plus de redevabilité, d’autres dénoncent une vendetta contre un homme qui dérange. La vérité, peut-être, se situe à la croisée de ces deux récits.

L’issue du procès ne dira pas seulement si Mohamed Ould Abdel Aziz est coupable ou non. Elle dira si la Mauritanie est prête à construire une justice indépendante, capable de juger tous ses citoyens sans distinction, mais aussi de se protéger contre les tentations politiciennes.

C’est ce fragile équilibre qui est en jeu. Plus que le sort d’un homme, c’est la solidité d’un État de droit qui se mesure, sous le regard d’un pays suspendu au verdict.

Ahmed Ould Bettar

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