Mauritanie : la rigueur de la Banque Centrale, atout ou piège pour le pays ?
Mauritanie : la rigueur de la Banque Centrale, atout ou piège pour le pays ?
Banque Centrale de Mauritanie (BCM)
Par Cheikh Sidati Hamadi, Expert senior en droits des CDWD, Chercheur associé, analyste et essayiste
Le 15 août 2025, le Conseil de politique monétaire de la Banque Centrale de Mauritanie (BCM), présidé par Mohamed-Lemine Dhehby, a confirmé ses taux directeurs : 6 % pour le taux principal, 6,5 % pour la facilité de prêt et 2 % pour la facilité de dépôt (BCM, Communiqué officiel). Cette décision survient dans un contexte de désinflation marquée : l’inflation domestique a reculé de 3 % en juillet 2024 à 1,3 % en juillet 2025.
Une Mauritanie à contre-courant
Comparée à ses voisins et aux standards internationaux, la Mauritanie adopte une politique monétaire strictement conservatrice. Dans la zone UEMOA, la BCEAO maintenait fin 2024 un taux directeur de 3,5 %, avec une inflation moyenne de 5 % (BCEAO). Au Maroc, Bank Al-Maghrib stabilise son taux directeur à 3 %, avec une inflation autour de 2,7 % (Bank Al-Maghrib, Rapport 2024). Même la BCE en zone euro a récemment réduit son taux de refinancement à 3,75 %, alors que l’inflation reste supérieure à 4 % (BCE, 2025).
La Mauritanie se distingue donc par un coût du crédit élevé, malgré une inflation faible. Cette approche traduit une priorité donnée à la crédibilité monétaire et à la maîtrise des chocs importés, mais elle soulève des questions sur le soutien à l’économie réelle et à l’investissement productif.
Conséquences pour l’économie réelle
- Ménages : Le coût élevé du crédit limite l’accès au financement immobilier et à la consommation. À peine 20 % de la population adulte dispose de services financiers formels (FMI, Financial Access Survey 2024).
- Entreprises : Les PME restent sous-financées. Alors que le crédit au secteur privé progresse dans la zone UEMOA de 4 à 5 % par an, en Mauritanie, il demeure inférieur à 2 % du PIB (FMI, Article IV Mauritanie 2023).
- Banques : La marge d’intermédiation entre le refinancement (6 %) et le coût des dépôts (2 %) est confortable, mais elle profite surtout aux établissements bancaires, pas à l’économie productive.
- État : Le Trésor supporte un coût de financement plus élevé, mais bénéficie d’une inflation maîtrisée qui limite les tensions sociales et la nécessité de subventions.
Analyse
La BCM suit les recommandations du FMI et de la Banque mondiale (FMI, 2023, Banque mondiale, 2024), mais son approche se distingue de celle de ses homologues régionaux et internationaux. Le contraste avec la BCEAO, le Maroc et la zone euro illustre une politique conservatrice qui peut freiner l’investissement privé et la croissance inclusive, même si elle garantit une stabilité des prix à court terme.
Cette rigidité pourrait retarder les efforts de diversification économique, alors que la Mauritanie doit financer de grands projets structurants (gaz, infrastructures, énergie) et soutenir l’emploi des jeunes.
Conclusion
La désinflation est une réussite, mais elle masque un dilemme crucial : la stabilité monétaire peut-elle devenir un levier de croissance réelle et inclusive ? Comparée à la BCEAO et aux banques centrales du Maghreb et d’Europe, la Mauritanie apparaît plus conservatrice : prudente, certes, mais à risque de freiner son propre développement. La Banque Centrale devra désormais trouver un équilibre entre rigueur et soutien à l’économie productive, pour transformer cette stabilité en opportunité réelle pour le pays.