Mauritanie : entre avancées légales et violations persistantes, analyse critique du rapport américain 2024
Mauritanie : entre avancées légales et violations persistantes, analyse critique du rapport américain 2024
Cheikh Sidati Hamadi, Expert senior en droits des CDWD, chercheur associé, analyste, essayiste.
Le rapport 2024 du Département d’État américain, rendu public le 12 août 2025 sur les droits humains dans le monde (2024 Country Reports), est présenté depuis 1977 comme un outil de référence pour mesurer l’état des libertés fondamentales dans le monde. Destiné à éclairer les décisions du Congrès américain et à orienter la politique étrangère des États-Unis, il offre un panorama des réformes et des violations à l’échelle internationale. Une lecture critique révèle toutefois que le document mêle faits objectifs et priorités diplomatiques. En Mauritanie, tout comme pour l’Arabie saoudite, le Salvador et Israël, alliés ou proches alliés des États-Unis, certaines violations sont minimisées ou occultées, tandis que des pays moins alignés, comme le Brésil ou l’Afrique du Sud, subissent une critique détaillée et sévère. Le rapport évite également la question du drame humanitaire à Gaza, illustrant un biais manifeste dans la couverture des crises internationales. En Mauritanie, si le rapport mentionne des progrès législatifs, il ne reflète pas pleinement les violations persistantes : pratiques esclavagistes ou analogues, marginalisation des Communautés discriminées sur la base du travail et de l’ascendance (CDWD), détentions arbitraires d’activistes et de défenseurs des droits humains, restrictions syndicales, nouvelles lois restrictives sur la création de partis politiques et répression des voix critiques.
Chapitre 1 : Forces et limites structurelles du rapport américain
Le rapport conserve une valeur analytique grâce à son suivi pays par pays et à sa documentation des réformes légales et institutionnelles (BBC). Il reste un outil précieux pour chercheurs et acteurs des droits humains. Cependant, la sélectivité politique est évidente : les sections sur des alliés comme Israël, l’Arabie saoudite ou le Salvador sont édulcorées, tandis que des pays moins alignés comme le Brésil, l’Afrique du Sud, la Russie ou la Chine font l’objet de critiques détaillées sur la corruption, la violence policière et les violations des droits politiques (NYT, Washington Post, Folha de São Paulo). La concision du rapport 2024 et l’absence de données chiffrées affaiblissent la compréhension complète de la situation (The Guardian). En Mauritanie, les pratiques esclavagistes, la marginalisation des CDWD, les détentions arbitraires, les restrictions syndicales et la loi sur la création des partis politiques sont mentionnées, mais très peu détaillées ou passées sous silence (SOS Esclaves, IRA Mauritanie). Enfin, le rapport tend à minimiser les violations structurelles et l’impunité. Les condamnations ponctuelles, comme celle de policiers pour la mort de l’activiste Souvi Ould Cheikh, sont mises en avant, mais les discriminations quotidiennes, l’exclusion sociale et la répression des voix critiques restent sous-estimées.
Chapitre 2 : La Mauritanie entre législation et réalités de terrain
Le rapport valorise les réformes légales, notamment contre l’esclavage, pour la protection de l’enfance et l’encadrement du travail des enfants. Pourtant, la réalité quotidienne reste plus complexe. Les homicides liés aux forces de sécurité, comme celui de quatre détenus à Kaédi en juillet 2024 lors de manifestations déclenchées par un faux message sur les réseaux sociaux annonçant la victoire du candidat Biram Dah Abeid, montrent que la violence reste présente (Sahara Médias). Les jeunes CDWD rencontrent encore d’importants obstacles pour accéder à l’éducation et à la justice, et les pratiques analogues à l’esclavage persistent dans certaines zones rurales (SOS Esclaves, IRA Mauritanie). Les détentions arbitraires d’activistes et défenseurs des droits humains, les restrictions syndicales et la nouvelle loi sur les partis politiques limitent sévèrement l’expression politique et sociale. Les femmes et les enfants demeurent particulièrement vulnérables. Malgré l’interdiction légale, le travail des enfants et les mariages précoces affectent une proportion significative de la population (UNICEF 2024), et la mutilation génitale féminine persiste dans certaines régions (BBC). La participation des femmes au marché du travail formel reste faible, illustrant des inégalités structurelles (World Bank 2024). Le rapport, même s’il met en avant les réformes légales, ne reflète pas complètement la réalité des violations persistantes et des exclusions sociales, politiques et économiques, notamment pour les femmes, les enfants et la société civile.
Chapitre 3 : Comparaison avec le Brésil et l’Afrique du Sud
Le Brésil et l’Afrique du Sud, considérés comme moins alignés sur Washington, sont décrits de manière plus sévère. Le Brésil est critiqué pour les violations des droits des populations autochtones, les assassinats de militants environnementaux et la violence policière (The Guardian). L’Afrique du Sud est pointée pour les inégalités raciales persistantes, la corruption judiciaire et les violences d’État (Washington Post). Cette comparaison révèle un double standard : la Mauritanie bénéficie d’une présentation plus favorable et d’un accent sur les réformes légales, tandis que les violations structurelles, les détentions arbitraires, la répression syndicale et le contrôle du pluralisme politique sont minimisés.
Conclusion
Le rapport américain 2024 demeure influent et utile, mais ne permet pas de saisir toute la complexité des droits humains en Mauritanie. La politisation et la sélection des informations, ainsi que l’évitement de crises graves comme Gaza, peuvent masquer l’ampleur des violations et limiter la visibilité sur les exclusions sociales et politiques, notamment envers les CDWD, les femmes, les enfants et les défenseurs des droits humains. Pour dresser un bilan fidèle, il est indispensable de compléter cette évaluation par les observations des ONG locales et des institutions régionales. Les réformes légales doivent devenir des protections concrètes et universelles pour toute la population. La Mauritanie mérite une évaluation lucide et sans concessions, qui dépasse la diplomatie des rapports pour devenir un instrument de transformation réelle.
Références
- 2024 Country Reports – US State Department
- BBC News
- New York Times
- Washington Post
- Folha de São Paulo
- The Guardian
- SOS Esclaves
- IRA Mauritanie
- Sahara Médias
- UNICEF 2024
- World Bank 2024