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Mohamed Jemil Mansour et le coup d’État du 8 juin 2003 : entre lucidité historique et exigence critique

L'ancien président de Tawassoul, Mohamed Jemil Mansour, propose une lecture nuancée du coup d'État du 8 juin 2003, en refusant tout jugement binaire. Une réflexion lucide sur l’histoire, la méthode et le sens de la rupture politique en Mauritanie.

Dans une analyse fine et rigoureuse, Mohamed Jemil Mansour, figure intellectuelle de l’islam politique en Mauritanie, revient sur la tentative de coup d’État du 8 juin 2003. Plutôt que de céder aux lectures moralisantes ou héroïsantes, il appelle à une compréhension méthodique et critique de cet événement, dont les ressorts restent en grande partie enfouis dans les plis de la raison d’État.

Mohamed Jemil Mansour — ancien président du parti islamiste Tawassoul et analyste politique de grande envergure — souligne finement que l’évaluation historique d’un putsch ne saurait se réduire à une dichotomie moraliste binaire. Son positionnement nuancé sur la tentative de renversement du régime de Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya le 8 juin 2003, portée par les « Chevaliers du Changement », demande à être élucidé.
Affirmer qu’un événement « ne mérite ni éloge public ni condamnation automatique », c’est poser un acte de pensée en rupture avec les réflexes moraux qui dominent l’arène politique post-événementielle. Ce que Jemil Mansour propose ici, ce n’est pas un simple relativisme, mais une épistémologie du contexte, c’est-à-dire une reconnaissance de l’opacité méthodique qui entoure encore le coup de 2003. Cette opacité n’est pas que mémorielle ou émotionnelle : elle est institutionnelle, archéologique, et partiellement verrouillée par les logiques de raison d’État.
En effet, tout jugement prématuré équivaudrait à ignorer l’infrastructure des loyautés latentes et des archives inaccessibles — autant de variables qui empêchent une lecture achevée. Ce que Mansour suggère, c’est que toute historiographie sérieuse de cette tentative exige non pas une grille idéologique, mais une méthodologie critique fondée sur l’exhumation des rapports de force, des dispositifs logistiques et des affiliations invisibles.
L’insistance de Mansour sur le caractère non-partisan de l’organisation des « Chevaliers du Changement » mérite également d’être analysée avec attention. En mettant en avant l’autonomie structurelle du groupe par rapport aux partis et mouvements existants, Mansour opère une distinction importante entre réseau d’action et système d’idéologie. Cela revient à dire que la tentative du 8 juin 2003 fut un projet politique sans enveloppe partisane formelle — une sorte d’acte de foi militaire fondé sur des alliances d’individus plutôt que sur des coalitions organiques.
L’usage du terme « indépendance » ici ne saurait être confondu avec neutralité : il désigne plutôt une logique de fragmentation du champ politique, dans laquelle les affiliations se jouent dans l’informel, le latent, l’affectif. Cette dimension rend le coup d’État de 2003 non réductible aux modèles classiques d’intervention militaire téléguidée par une mouvance politique.
Le diagnostic posé par Mansour — « mauvaise préparation » et « confusion dans l’exécution » — introduit une grille technocratique d’analyse du coup d’État. On quitte ici le terrain de la symbolique politique pour entrer dans celui de la planification opérationnelle. Un coup d’État, comme tout projet à fort contenu disruptif, repose sur trois axes : l’anticipation logistique, le calibrage de la surprise et la maîtrise du récit postérieur. Or, en 2003, ce triptyque semble avoir été partiellement absent ou mal articulé.
L’absence d’effet de cliquet et l’échec à créer une bascule narrative dans les premières 48 heures ont scellé le destin de l’opération. Ainsi, le putsch n’a pas échoué uniquement à cause d’un excès de bravoure ou d’un manque de ressources, mais parce qu’il n’a pas été conçu comme une opération totale — au sens gramscien du terme.
La thèse conclusive de Mansour — selon laquelle les coups d’État, même contre des régimes autoritaires, tendent à reproduire l’autoritarisme sous une autre forme — s’inscrit dans une tradition politique hobbesienne réinterprétée à l’aune des transitions africaines. La violence institutionnelle, même motivée par une quête de justice, n’accouche que très rarement de systèmes pluralistes. Elle crée, par effet de structure, un nouveau monopole de la force dont la légitimation dépend non plus du consensus mais de l’efficacité à maintenir l’ordre.
Mansour rappelle ici, implicitement, que le courage politique ne suffit pas — qu’il faut une architecture de transition, un projet de société, et une ingénierie de la légitimité pour que la rupture ne soit pas qu’un recyclage.
À travers son analyse mesurée et sa retenue calculée, Mohamed Jemil Mansour ne désamorce pas l’importance historique du 8 juin 2003. Il en reconnaît la portée, mais refuse de l’enfermer dans une rhétorique héroïque ou moralisatrice.
Cette parole, plus qu’une position, est un appel à l’exigence intellectuelle : celle de comprendre avant de juger, de contextualiser avant de classer, et surtout, de savoir que toute rupture sans projet n’est que parenthèse dans la continuité du même.

Mohamed Ould Echriv Echriv

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