Mali : Olivier Dubois retenu en otage depuis quinze mois
Mali : le journaliste Olivier Dubois retenu en otage depuis quinze mois
DATE. Le collaborateur régulier du « Point », de « Libé » et de « Jeune Afrique », fin connaisseur du Sahel, a été enlevé le 8 avril 2021, à Gao, au Mali.
Le Français Olivier Dubois, journaliste indépendant de 47 ans vivant et travaillant au Mali depuis 2015, avait lui-même annoncé son enlèvement dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux le 5 mai 2021.
© LUCAS BARIOULET / AFP
Par Viviane Forson et Malick Diawara
Le 8 avril 2021 le monde entier apprenait la nouvelle : Olivier Dubois, alors journaliste collaborateur régulier du Point, de Libération et de Jeune Afrique, avait été enlevé, à Gao, au Mali, par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), principale alliance djihadiste, liée à Al-Qaïda et opérant au Sahel. Quatorze mois mois après, Olivier Dubois reste le seul otage français dans le monde depuis la libération en octobre 2020 de Sophie Pétronin, également enlevée au Mali. Et aucun de ses amis et soutiens ne veut lâcher, encore moins ses proches qui, lors du premier anniversaire, ont tenu à « faire du bruit ».
Pour cela, la famille du journaliste, représentée par sa mère, sa sœur et le conjoint de celle-ci, avait réalisé une vidéo pour sensibiliser le public. Mise en ligne sur YouTube, elle montre les visages de personnalités françaises comme les journalistes Élise Lucet, Gilles Bouleau et Florence Aubenas (elle-même otage en Irak en 2005), le groupe de rap IAM ou l’acteur Yvan Attal.
Cette vidéo se clôt sur un appel à signer la pétition lancée le 6 janvier (www.change.org/liberonsolivierdubois), qui revendiquait en avril plus de 80 000 signatures. « Plusieurs mois après son enlèvement et grâce à notre pétition, Olivier est enfin passé du statut de l’otage dont on ne parle pas à celui dont on parle enfin », nous a alors confié la sœur d’Olivier Dubois, Canèle Bernard.
Dans le sillage de cette action de sensibilisation, d’autres rendez-vous avaient été honorés. Ainsi une banderole de soutien avait été dévoilée à Montpellier, dans le sud de la France le vendredi 8 avril à 18 heures (16 heures GMT) par Reporters sans frontières (RSF), après 19 autres villes ces derniers mois. Et une marche avait été organisée par le club de la presse de Metz dans l’est de la France. « Olivier, je ne le connais pas, confiait un brin émue, Élise Descamps, à l’initiative de la marche à Metz. Son histoire m’a particulièrement touchée en tant que journaliste, pigiste, connaissant les réalités du travail de terrain à l’étranger, et citoyenne aussi, a indiqué la journaliste qui travaille pour La Croix. Comme elle, de nombreuses citoyennes et citoyens, anonymes, se sont enquis de plus en plus du cas de notre confrère. « L’acte est symbolique et nous agissons à notre petit niveau, car le pire c’est l’oubli (…) Un an de captivité c’est 12 mois de trop », avait ajouté la journaliste membre du Comité de soutien à Olivier Dubois.
Un journaliste pointu, connaisseur de la région sahélienne
Couvrir le conflit sahélien implique des risques, et Olivier Dubois, journaliste expérimenté de 47 ans installé depuis six ans au Mali, les connaît mieux que quiconque. Mais sa passion de l’authentique le pousse à toujours remonter à la source. Dans la vidéo de revendication publiée par ses ravisseurs, on le voit assis en tailleur à même le sol, face à la caméra, sous une toile de tente, dans un lieu inconnu. La justice française a ouvert une enquête préliminaire pour enlèvement en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste.
Au cours d’une collaboration régulière avec notre site Web Le Point Afrique, Olivier Dubois n’a eu de cesse de traquer les dessous des événements sanglants qui déchirent la région sahélienne, à travers ses reportages, analyses et entretiens. Il s’est avéré un acteur précieux à la place qui est la sienne, celle de journaliste, pour débusquer avec précision les angles morts de l’information afin de mieux comprendre ce qui se joue au Mali.
Une collaboration riche et diversifiée
Il entame son travail en juillet 2018 par le versant politique, autour des rebondissements qui animent la constitution des registres électoraux pour la présidentielle. Après la réélection contestée d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) à la tête du pays, il nous fait vivre la désillusion des Maliens par le biais de ses reportages sur les manifestations qui agitent la capitale. Il ne néglige pas la dimension économique avec un décryptage pertinent de Madani Tall, économiste et banquier d’affaires qui joua un rôle clé dans la croissance rapide du Mali au cours des années 2000. Il aborde les conflits ethniques en s’entretenant avec Ag Mohamedoun, leader de la Coalition du peuple pour l’Azawad, un mouvement politico-militaire touareg. Lorsque les militaires renversent IBK par un coup d’État en août 2020, Olivier Dubois comprend, en fin observateur de la vie politique malienne, que l’un des facteurs qui détermineront la transition n’est pas l’attitude des hommes politiques traditionnels, mais celle des chefs religieux à la tête d’obédiences influentes : celle du chérif de Nioro, Bouyé Haïdara, représentant d’un islam modéré d’essence soufie, et celle de l’ex-président du Haut Conseil islamique malien, Mahmoud Dicko, tenant d’un islam rigoriste wahhabite sous influence saoudienne. Les entretiens qu’il a tirés de ses rencontres éclairent la place essentielle occupée par les religieux dans un pays tiraillé comme le Mali.
Olivier Dubois suit de près les violences intercommunautaires – notamment entre Peuls et Dogons, avec comme point d’orgue le massacre de Peuls à Ogossagou en 2019 –, les enlèvements perpétrés par les groupes terroristes – avec la couverture de la libération du dirigeant d’opposition Soumaïla Cissé, en octobre 2020, et la série sur la captivité de l’humanitaire française Sophie Pétronin – et le rôle des forces étrangères – avec l’interview du colonel Barbry, du dispositif militaire français Barkhane.
Au-delà de leur contenu, ces séquences sont révélatrices du caractère d’Olivier Dubois et de la conception qu’il se fait de son métier. Pour informer, il faut aller sur le terrain et y nouer les contacts qui permettront d’obtenir les meilleures introductions ainsi que les témoignages les plus significatifs. Cela l’a conduit à Nioro, dans le fief du chérif Bouyé Haïdara, à Kidal, pour observer le travail dans les mines d’or clandestines, et dans le camp d’entraînement du groupe d’autodéfense dogon Dan Na Ambassagou. C’est armé de cette conviction qu’il s’est rendu début avril à Gao, où il a été très vraisemblablement piégé par des interlocuteurs qu’il souhaitait rencontrer. Pour risqué qu’ait été ce voyage, il est à l’honneur d’un journaliste qui choisit de rester au plus près des événements.
Que s’est-il passé en treize mois ?
Et puis, tout récemment, il y a eu l’espoir d’un signe de vie, le 13 mars dernier, lorsqu’une nouvelle vidéo d’Olivier Dubois a circulé sur les réseaux sociaux, sans pour autant qu’on connaisse sa provenance et la date à laquelle elle a été tournée. L’otage, qui apparaît en bonne santé, s’adresse à ses parents, à la mère de ses deux enfants, à ses sœurs et au gouvernement français, auquel il demande de « continuer à faire son possible » pour sa libération.
Qu’en est-il désormais ? Difficile de le dire, tant les relations entre le Mali et la France se sont dégradées. Illustration de ce climat de tensions, quelques jours après ce qui est considéré comme un signe de vie, le 17 mars, le gouvernement de transition qui dirige le Mali depuis le coup d’État du 20 août 2020 a suspendu la diffusion de la radio internationale RFI et de la chaîne de télévision France 24, dans un contexte de tensions avec la France, au moment où ces médias se sont fait le relais d’accusations d’exactions à l’endroit de l’armée malienne et de leurs supplétifs russes. Or, RFI diffusait régulièrement des messages des proches d’Olivier Dubois à son intention.
Le 8 avril dernier, le chef de l’État, Emmanuel Macron avait exprimé dans un communiqué, son « indéfectible soutien » à l’otage français, « enlevé dans l’exercice de son métier de journaliste », « sa famille, ses amis et les rédactions pour lesquelles il travaille ». « Il les assure de sa compassion dans cette douloureuse épreuve et de la pleine mobilisation des services de l’État pour mettre un terme à l’insupportable séquestration » d’Olivier Dubois, « seul Français détenu par une organisation terroriste », indique la présidence dans un communiqué. Le président s’était exprimé en février dernier également, pressé par la famille et les proches d’Olivier.
Quelques heures avant le premier tour de la présidentielle française, les sociétés de journalistes et de personnels de la plupart des sociétés de rédaction françaises, dont celle du Point, et RSF ont interpellé le ou la future locataire de l’Élysée à tout mettre en œuvre pour le faire libérer. Leur détermination est toujours intacte aujourd’hui, alors qu’Emmanuel Macron a été investi ce 7 mai pour un deuxième mandat et que les Français sont appelés à élire leurs députés les 12 et 19 juin prochains.
Point Afrique