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M. Yahya Loud, député FRUD de la circonscription nord-américaine : ‘’Le dialogue est une bonne chose. Encore faut-il en connaître l’initiateur, l’ordre du jour et les objectifs’’

Le Calame : Les Mauritaniens sont focalisés sur les préparatifs d’un dialogue politique national convoqué par le président de la République. Que pensez-vous de cette initiative et des préparatifs en cours ?

Yahya Loud : Une partie de la classe politique est probablement focalisée sur ce dialogue. Les Mauritaniens sont, eux, focalisés sur les problèmes réels qu’ils rencontrent dans leur quotidien : faire accéder leurs enfants à l’école, obtenir un emploi ou trouver comment émigrer du pays, obtenir des soins de santé, des médicaments non falsifiés, de l’eau potable et de l’électricité à domicile, traiter avec une administration neutre et compétente, mettre fin à la corruption qui gangrène notre pays, à tous les niveaux de l’État… Ce sont là, encore aujourd’hui hélas, les préoccupations de nos compatriotes. Le dialogue ne concerne essentiellement qu’une partie de la classe politique.

Cela dit le dialogue c’est toujours une bonne chose, par principe. Encore faut-il en connaître l’initiateur, l’ordre du jour et les objectifs. Pour l’instant, le Président ne semble pas voir un problème nécessitant ce dialogue, selon ses propres mots. Puisqu’une partie de l’opposition le veut, ainsi soit-il, dit le président Ghazouani qui s’en lave d’ailleurs les mains, en demandant aux acteurs politiques de soumettre leurs propositions au coordinateur désigné, monsieur Moussa Fall, et de se concerter, entre eux, sur les objectifs, l’ordre du jour et les modalités du dialogue. Cela s’apparente davantage à une tentative de gagner du temps et d’occulter les problèmes, au motif que tout sera discuté durant le dialogue. En attendant, fermez les yeux sur la corruption, le trafic d’influence, la confiscation des droits et libertés et, surtout, la déliquescence avancée de l’État.

Je note que le Président n’a pas besoin de dialogue pour bien faire. Qu’est-ce qui l’empêche, par exemple, de mettre en œuvre simplement son programme ? Lutter contre la corruption : la loi adoptée par sa majorité à ce sujet récompense la corruption plus qu’autre chose ; consolider les droits et libertés : voyez donc les lois liberticides sur les roumouz (symboles de l’État) ou sur les partis politiques, les modifications apportées au règlement intérieur de l’Assemblée nationale ; améliorer les services de base : partout dans le pays, les Mauritaniens n’ont accès ni à l’eau, ni à l’électricité, ni, encore moins, à la santé. Des dizaines de milliers de nos jeunes ont choisi l’émigration et on nous annonce que la moitié des Mauritaniens serait menacée de famine cette année. Notre sécurité et souveraineté nationales : de grands pans de notre territoire, à l’Est comme au Nord, seraient occupés par des forces étrangères. Et tout ce que le gouvernement trouve à dire, c’est nier, soit notre souveraineté sur ces territoires, soit la présence étrangère pourtant vérifiable via Google Earth.

Et voici, pour couronner le tout, que le gouvernement ne parle plus que d’industrie extractive, gaz et hydrogène vert. Mais le dernier rapport du FMI ne vient-il pas de pointer, le mois dernier, l’incompétence de nos services concernés par ces sujets, leur fragmentation et cloisonnement ? Somme toute, la situation du pays est gravissime mais, tout en nous annonçant ces mauvaises nouvelles, le Président semble satisfait de lui-même et ne voit guère de raison de dialoguer avec l’opposition. Bref et pour revenir en un mot sur votre question : le dialogue est certes une bonne idée… s’il s’agit d’un dialogue réellement assumé, de bonne foi et dont l’initiateur entend traiter véritablement des problèmes du pays. Or ce à quoi nous assistons, pour l’instant, ce ne sont qu’intrigues et tentatives de gagner du temps, au détriment des intérêts du pays et de nos compatriotes.

– À votre avis, quel est l’intérêt de l’opposition à se rendre au dialogue ?

– Ce que l’opposition risque fort de tirer de ce dialogue, en l’absence de garanties sérieuses, c’est d’être entraînée dans une mise en scène absurde servant à recycler le régime en place et à prolonger le soi-disant « apaisement » qui n’en est pas un, avec le danger réel de perdre la confiance de sa base, si le dialogue ne se révèle qu’un simple partage de privilèges plutôt qu’une réponse aux véritables problèmes du pays.

– Vous êtes député du FRUD aux USA, un pays qui a vu le président Trump revenir à la Maison Blanche. Comment la communauté mauritanienne a-t-elle vécu ce come-back ?

– Le retour du président Donald Trump à la Maison Blanche a suscité des réactions mitigées au sein de la communauté mauritanienne aux États-Unis, une communauté diverse par ses origines et ses sensibilités. Certains ont exprimé leurs inquiétudes, notamment parmi les nouveaux migrants ou ceux en situation irrégulière, en raison des positions précédentes de Trump et de ses discours obtus sur l’immigration. D’autres considèrent en revanche que son retour pourrait signifier une plus grande clarté politique et de nouvelles opportunités économiques, étant donné son orientation conservatrice sur le plan économique.

Mais d’une manière générale, l’état d’esprit dominant au sein de la communauté est celui de la prudence et de l’attente, en l’espoir de voir quelles mesures concrètes seront prises par la nouvelle administration concernant l’immigration et la situation des communautés africaines et musulmanes. En tant que député représentant cette communauté, je suis de près l’évolution de la situation, en lien avec les institutions américaines et les organisations de défense des droits, afin de veiller à ce que ceux de nos compatriotes soient protégés et qu’un accompagnement juridique soit disponible pour ceux qui en ont besoin.

– Selon vous qu’est-ce qui explique cette ruée vers le pays de l’oncle Sam ?

– Selon les estimations officielles, plus de quarante-huit mille mauritaniens ont franchi la frontière mexicaine vers les États-Unis au cours des dernières années, principalement entre 2023 et 2024, en empruntant l’itinéraire passant par le Nicaragua et le Mexique. Avant cette récente vague, une communauté mauritanienne d’environ douze mille personnes s’était déjà installée aux USA au fil des décennies précédentes.

La grande majorité des nouveaux arrivants ont déposé des demandes d’asile. Leur situation actuelle est donc légale mais temporaire, en l’attente d’une décision définitive des juges de l’immigration. Ce statut leur permet de rester légalement sur le sol américain mais leur situation reste précaire, surtout dans un contexte politique où des décisions plus restrictives pourraient être prises par la nouvelle administration.

– Les USA proposent de l’argent et le billet retour pour tous les mauritaniens désireux de retourner chez eux. Que pensez-vous de cette proposition ? Que leur conseillez-vous ?

– L’augmentation de la migration vers les États-Unis s’explique principalement par la dégradation des conditions économiques et le manque d’opportunités d’emploi en Mauritanie. Pour de nombreux jeunes, les USA représentent une terre d’espoir, notamment grâce aux témoignages de migrants ayant obtenu l’asile ou une situation légale stable. L’accessibilité relative de la route passant par le Nicaragua et le Mexique, combinée à la diffusion massive d’expériences sur les réseaux sociaux, a encouragé beaucoup à tenter l’aventure, malgré les risques. À cela s’ajoute une perte de confiance dans la capacité de l’État mauritanien à améliorer les conditions de vie, ce qui a transformé l’émigration en un rêve collectif pour une large partie de la population.

L’offre des autorités américaines : fournir de l’argent et un billet de retour gratuit aux Mauritaniens souhaitant rentrer au pays ; peut sembler humanitaire, en apparence, mais elle s’inscrit dans une stratégie visant à réduire le nombre de migrants en situation irrégulière par des moyens « volontaires », évitant les expulsions forcées, coûteuses et controversées. Nous pensons que cette décision doit être évaluée au cas par cas. Pour ceux qui vivent dans des conditions difficiles, sans perspective légale claire aux États-Unis, le retour volontaire et digne peut être une option raisonnable, plutôt que de risquer la détention ou l’expulsion. En revanche, pour ceux dont la demande d’asile est en cours ou qui ont des possibilités d’améliorer leur statut, il est préférable de poursuivre leur démarche juridique avec patience. Dans tous les cas, nous conseillons vivement aux migrants de consulter des avocats ou des associations spécialisées avant de prendre une décision aussi importante. Le retour est un droit mais abandonner une procédure sans en comprendre pleinement les conséquences peut faire perdre des opportunités précieuses.

– La grande coalition qui avait soutenu le candidat à la présidentielle, maître El Id Mohameden M’Bareck a connu quelques divergences poussant divers de ses membres à claquer la porte. Sur quoi portaient-elles ?

– En réalité, la coalition « Espoir de la Mauritanie » était à l’origine une alliance électorale formée spécifiquement pour les élections législatives et a obtenu des résultats honorables et encourageants. Après ce succès, nous estimions qu’il était opportun de s’ouvrir à d’autres forces de l’opposition et d’éviter de se précipiter à présenter une candidature à la présidentielle issue uniquement de la coalition, sans concertation élargie. Cependant, certains partenaires, notamment notre collègue El Id, ont choisi de présenter leur candidature à l’élection présidentielle de manière unilatérale, sans consensus préalable. Nous avons respecté cette décision, même si nous avons exprimé notre désaccord sur le choix, la méthode et le moment. Aujourd’hui, nous considérons cette phase comme dépassée et sommes pleinement engagés, en tant qu’équipe unie, à accomplir, de la manière la plus efficace possible, notre mission législative et de contrôle au sein du Parlement.

Propos recueillis par Dalay Lam

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