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Deux lois anticorruption adoptées en Mauritanie : espoir réformateur ou écran de fumée politique ?

L'adoption de deux projets de loi majeurs par l’Assemblée nationale mauritanienne — l’un sur la lutte contre la corruption, l’autre sur la déclaration des biens — ravive le débat entre pouvoir et opposition. Entre ambition affichée et craintes de dérives, les textes divisent, cristallisant les soupçons autour de la sincérité gouvernementale.

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Nouakchott – L’Assemblée nationale mauritanienne a ratifié, ce samedi, deux projets de loi à forte portée symbolique et institutionnelle. Le premier renforce le cadre législatif contre la corruption, tandis que le second modernise les obligations de transparence patrimoniale des agents publics. Présentés par le ministre de la Justice, Mohamed Mahmoud Ould Cheikh Abdallah Ben Boya, ces textes visent, selon le gouvernement, à combler les lacunes de lois existantes et à aligner la législation nationale sur les recommandations de la Convention des Nations unies contre la corruption.

Mais si l’objectif affiché de transparence et de bonne gouvernance suscite un large assentiment de principe, les modalités concrètes de ces réformes divisent profondément la classe politique, et soulèvent de nombreuses interrogations sur leur mise en œuvre et leur impartialité.

Des avancées saluées… sur le papier

Dans le détail, le projet de loi relatif à la lutte contre la corruption étend le périmètre des infractions punissables à des pratiques jusqu’alors peu encadrées, comme les malversations dans le secteur privé ou l’octroi illégal de marchés publics. Il introduit également des mécanismes juridiques nouveaux, notamment des sanctions renforcées en cas d’enrichissement illicite, ainsi qu’un raccourcissement strict des délais de jugement pour les affaires de corruption.

Quant au texte sur la déclaration des biens, il élargit l’obligation déclarative à davantage de catégories d’agents publics, en y incluant les intérêts des enfants mineurs. Il prévoit également la publication des déclarations de hauts responsables comme le Président de la République et les membres du gouvernement, et confie à l’Autorité nationale de lutte contre la corruption un rôle central de contrôle.

Pour le gouvernement, il s’agit d’une « réponse concrète » à un phénomène complexe et enraciné. « Aucun projet de loi ne peut réussir sans un engagement collectif », a martelé le ministre de la Justice, tout en appelant les députés à assumer leur part dans cet effort national.

L’opposition entre scepticisme et mise en garde

Mais ces déclarations de bonne foi ne suffisent pas à rassurer tout le monde. Plusieurs députés de l’opposition, tout en saluant l’initiative législative, ont pointé une série de failles qui, selon eux, pourraient affaiblir la portée réelle des textes.

D’abord, l’absence des parlementaires sur la liste des personnes assujetties à la déclaration des biens a été dénoncée comme une incohérence flagrante. « Comment peut-on exiger la transparence sans l’appliquer à l’ensemble de ceux qui détiennent une parcelle du pouvoir ? », a interrogé un élu. De plus, certains articles du projet de loi sont jugés trop vagues, ouvrant la porte à des interprétations extensives ou arbitraires.

D’autres craignent que ces lois deviennent des instruments politiques plutôt que juridiques. « Ce n’est pas tant le texte qui pose problème, que son application potentiellement sélective », prévient un député, soulignant le risque d’une instrumentalisation dans un contexte où la justice peine encore à s’émanciper des pressions du pouvoir exécutif.

Une dénonciation sans détour du « système »

L’intervention la plus tranchante est venue de la députée Kadiata Malick Diallo, qui a porté une accusation sévère contre l’architecture même du pouvoir. Selon elle, « le système actuel est structurellement incapable de combattre la corruption, car il en est lui-même l’émanation ». Elle dénonce un appareil d’État fondé sur le népotisme et le clientélisme, où les nominations sont faites non selon les compétences, mais dans une logique de fidélisation électorale fondée sur des considérations tribales ou régionales.

« Il y a une perte de repères comme jamais auparavant dans notre pays », a-t-elle poursuivi, regrettant que même des ministres et hauts fonctionnaires, censés être des figures de référence, se livrent désormais à une complaisance outrancière. « Le voleur de deniers publics est devenu un héros », a-t-elle lancé avec amertume.

Kadiata Malick Diallo a également mis en accusation le gouvernement pour ce qu’elle décrit comme une répression des lanceurs d’alerte, pendant que les véritables auteurs d’actes de corruption continuent de bénéficier d’impunité. « Ceux qui dénoncent les abus sont emprisonnés, tandis que les hommes d’affaires impliqués continuent de remporter de juteux marchés publics. Quant aux fonctionnaires coupables de malversations, ils sont tout au plus temporairement écartés, avant d’être réintégrés, recyclés et parfois même promus », a-t-elle fustigé.

Une fracture politique persistante

En creux, le débat sur ces deux lois met en lumière une fracture plus profonde sur la vision du changement en Mauritanie. Pour la majorité présidentielle, ces textes marquent une rupture avec les pratiques du passé et jettent les bases d’un État de droit plus solide. Pour l’opposition, ils illustrent au contraire un réformisme de façade, tant que l’impunité reste la norme pour les proches du pouvoir.

L’histoire récente alimente ce scepticisme. L’ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz, récemment condamné pour corruption, dénonce un procès politique. Et les critiques se multiplient contre une justice perçue comme à géométrie variable.

Entre espoir réformateur et syndrome de l’archivage

Un autre point de tension majeur concerne l’efficacité de l’Autorité nationale de lutte contre la corruption, à qui incombera une grande partie du travail de contrôle. Plusieurs élus ont mis en doute ses capacités opérationnelles, avertissant qu’elle pourrait se transformer en « simple archive de déclarations », sans réel pouvoir d’action.

Face à ces doutes, certains appellent à accompagner les textes de mesures concrètes : campagnes nationales de sensibilisation, protection des lanceurs d’alerte, publication active des déclarations, indexation des personnes soupçonnées… Autant de chantiers qui restent à initier pour éviter que cette réforme ambitieuse ne reste lettre morte.

Conclusion :
La ratification de ces deux projets de loi aurait pu être un tournant consensuel dans la lutte contre la corruption en Mauritanie. Mais les dissensions qu’elle révèle témoignent d’une crise plus profonde de confiance entre les institutions et les citoyens, entre le gouvernement et l’opposition. Pour que ces textes ne rejoignent pas la longue liste des réformes inabouties, leur application devra convaincre sur le terrain — dans l’impartialité, la transparence et l’effectivité. Un défi politique autant que juridique.

Rapide info avec agences

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