L´injustice des relations économiques entre la France et l´Afrique, quel avenir ?

L´injustice des relations économiques entre la France et l´Afrique, quel avenir ? [Dans sa série d’analyses sur les crimes commis par la France en Afrique pendant l’ère coloniale, au cours des 19e et 20e siècles, l’agence Anadolu focalise, aujourd’hui, sur le volet économique et commercial.

Après plus de 60 ans depuis leurs indépendances, les anciennes colonies africaines de la France souffrent toujours de profondes séquelles causées, entre autres, par la dépendance de leurs échanges de l’Hexagone et l’arrimage de leur monnaie au trésor français, via le mécanisme CFA.

Cette colonisation a été pourtant qualifiée de« Crime contre l’humanité » par Macron, lors de sa campagne électorale en 2017. Mais les excuses et la réparation se font toujours attendre.]

Depuis de nombreuses années, en Afrique, ont lieu des débats importants autour des relations économiques entre la France et ses anciennes colonies sur le continent. A aucun moment Emmanuel Macron n´a semblé vouloir revenir sur cette relation inégale et injuste, malgré les apparences. Le commerce et la monnaie sont toujours sous contrôle.

Si les causes explicatives sont nombreuses, nous allons tenter d´aborder celles-ci, qui sont les principales. Le maintien de la domination économique permet la prolongation de la domination politique.

Le développement du commerce a été l´une des causes de la colonisation par la France. Au Maghreb, les ports de Tunis et d’Alger sont essentiels aux transactions (et existaient déjà à l´époque ottomane). La colonisation française va créer des ports. Le plus connu est celui de Casablanca au Maroc. Les chambres de commerce en France encouragent ces constructions afin d´augmenter le volume des échanges.

Au début du XIXe siècle, l´Afrique subsaharienne est isolée par des barrières naturelles comme le désert du Sahara et les océans. Les communications sont difficiles en dehors des routes des caravanes et des fleuves. Les comptoirs français de Saint Louis et de Gorée, au Sénégal, sont alors essentiels au commerce mis en place par la France.

La fin de la traite des esclaves provoque une reconversion des Européens dans le commerce de matières premières comme l´arachide, l´huile de palme, le bois, la gomme, le caoutchouc, le café et les métaux précieux. L´administrateur colonial Faidherbe a joué un rôle important. La volonté de contrôler le commerce international passe aussi par le contrôle de voies maritimes entre l´Afrique et l´Asie.

La colonisation de Djibouti (fin du XIXe siècle) est une réponse aux Anglais qui ont pris le contrôle du Canal de Suez en 1869.

Le début du XXe siècle voit la construction de voies ferrées (Dakar-Soudan, voies de Guinée, de Côte d’Ivoire, du Dahomey qui est l´actuel Bénin et du Togo). Le Congo français et son chantier de la voie ferrée Congo-Océan provoque des abus qui sont dénoncés par André Gide dans son livre Voyage au Congo, en 1927, véritable réquisitoire contre les pratiques indignes des sociétés commerciales contre la population locale.

Après la crise mondiale de 1929, la France fit le choix de se replier sur son empire colonial, du fait des préférences commerciales. En 1950, l’ensemble de l´empire colonial représentait 60 % du commerce extérieur français. En 1970, la part de l’Afrique dans les exportations françaises était de 8,7 %. Elle n´était plus que de 5 % en 2015 (Hugon, 2016). Cela a obligé la France à repenser sa relation avec le continent afin de maintenir une forme de domination.

Soixante ans après les indépendances, pourquoi les gouvernements français sont-ils constamment critiqués pour leurs interventions dans les anciennes colonies en Afrique?

En Afrique, les propos de Nicolas Sarkozy, à Dakar, en 2007, osant affirmer que le “drame de l’Afrique” venait du fait que “l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire” sont restés gravés dans les mémoires. De nombreux intellectuels lui ont répondu. Achille Mbembe et Felwine Sarr vont jusqu`à dire que la France reste un problème pour le continent. Le premier, philosophe Camerounais, dit que “La France peine à entrer dans le monde qui vient” (2016). Le second, économiste Sénégalais, affirme qu´ »il faut sortir la France des accords de coopération monétaire » (2019).

Ces deux citations montrent la défiance qui existe chez une grande partie des élites intellectuelles africaines.

Les intérêts principaux pour la France se trouvent dorénavant dans le domaine pétrolier et gazier (alors qu´ils l´étaient plutôt dans le domaine des travaux publics, de l’eau et de l´électricité jusqu´à 2000). Le groupe Total est présent en Afrique francophone, mais également en Angola et au Nigeria. En 2018, l’Afrique représentait 28 % de la production de pétrole et de gaz de Total (Documents de référence Total, 2019). Par ailleurs, selon le Frédéric Munier, professeur de Géopolitique à Paris, 36,4% de l’approvisionnement en pétrole de la France vient du continent africain.

Les entreprises françaises pèsent énormément au niveau des IDE. Elles ont plusieurs avantages : la langue, la monnaie dans les pays de la zone franc, l’appui direct de l’État français, les garanties de la COFACE (compagnie publique qui garantit les risques des exportateurs français), et de réseaux anciens. Stratégie récente puisque le stock a été multiplié par 4 entre 2005 et 2011 pour se situer à 23,4 milliards de dollars. “Le redéploiement du capitalisme français résulte principalement des enjeux pétroliers (Angola, Nigeria) et de la volonté d’être présent sur des marchés plus importants – notamment en Afrique du Sud – que ceux des pays francophones de l’Afrique” (Hugon, 2016).

Analysons, maintenant, comment la question monétaire, qui est l´une des clés de compréhension du rapport de domination depuis les indépendances, puis la baisse des relations commerciales entre la France et ses anciennes colonies qui l´irrite.

Fin 2019, Emmanuel Macron a annoncé que la France souhaitait une réforme du franc CFA, datant de 1945 et toujours en vigueur dans quatorze pays africains. La France codirige (pour ne pas dire plus) ces économies du fait de l´arrimage du franc CFA à l´euro et l´obligation pour eux de verser 50% de leurs réserves de change respectives au ministère français des Finances.

Le problème est profond comme l´explique très bien Kako Nubukpo, ancien ministre togolais de la prospective et actuellement doyen de la faculté des sciences économiques et de gestion de l’Université de Lomé: “l’accord signé avec la France en 1945, dans le cadre du fonctionnement du compte d’opérations avec le Trésor, était qu’elle couvre l’émission monétaire des pays de la zone franc à hauteur de 20 %. Aujourd’hui, nous la couvrons quasiment à 100 %. Cela veut dire que nous n’avons plus besoin de l’« assureur » qu’est la France pour avoir la fixité entre le CFA et l’euro”. Le problème est autant politique qu´économique.

Emmanuel Macron et le président ivoirien Alassane Ouattara veulent remplacer le « franc CFA » par l’« éco ». Il s´agirait de la future monnaie commune de quinze pays.

Les décisions les plus attendues sont la fin de l’obligation pour les Etats africains de verser 50 % de leurs réserves de change au ministère des Finances français et le maintien de l’arrimage à l’euro.

La monnaie est un instrument de souveraineté pour un Etat. Soixante ans après, les anciennes colonies d´Afrique subsaharienne ne l´ont pas.

Si nous analysons la réalité du projet défendu par le duo Macron/Ouattara, ce dernier défend une union monétaire garantie par la France. Les Africains qui s´y opposent préviennent que ce projet maintient la parité avec l´euro qui est une monnaie forte. Les conséquences sont nombreuses car il empêche les dévaluations compétitives et le développement industriel. Cela aboutira à enfermer ces pays dans une économie rentière de matières premières. Si l´Afrique ne représente que 5 % du commerce international, l’émergence des pays en zone “CFA” est entravée par une insertion clairement insuffisante dans le commerce international.

La question monétaire apparait clairement comme un frein pour le développement des échanges.

Le déclin commercial de la France est lui assez net. “Ses” parts de marché en Afrique ont été divisées par deux depuis 2001, passant de 12 % à 6 % selon la COFACE.

En remontant plus loin, on se rend compte que si l’Afrique représentait 8,7 % des exportations françaises en 1970, elle ne représentait plus que 5,6 % de ce total en 2006, selon l´économiste Philippe Hugon, qui fut directeur de recherche à l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques) de Paris.

Durant cette période les exportations françaises sont passées de 13 à 28 milliards de dollars mais le marché africain a quadruplé (COFACE) ce qui relativise cette augmentation et permet de comprendre la volonté de maintenir une mainmise sur la monnaie.

Il s´agit de la dernière carte toujours sous contrôle.

AA / Par le Dr. Mohamed Badine El Yattioui (*)


  • Dr. Mohamed Badine El Yattioui, Professeur de Relations Internationales à l´Université des Amériques de Puebla (Mexique).
  • Les opinions exprimées dans cette analyse n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas forcément la ligne éditoriale de l’agence Anadolu.

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