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Liberté de la presse en Mauritanie : RSF salue les progrès, mais des voix locales pointent des angles morts

Liberté de la presse en Mauritanie
Nouakchott, 27 mai 2025 – Le directeur général de Reporters sans frontières (RSF), Thibaut Bruttin, a été reçu ce 27 mai par le président mauritanien Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, à l’issue d’une visite de deux jours dans la capitale. Une rencontre saluée comme une reconnaissance des avancées du pays en matière de liberté de la presse, mais qui suscite aussi des réserves au sein de la presse indépendante locale, restée à l’écart de cette mission officielle.

Une Mauritanie mieux classée, mais toujours scrutée

Dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2024 établi par RSF, la Mauritanie a gagné des points, se hissant à la 50ᵉ place. Un signe encourageant dans un Sahel en proie aux régressions démocratiques, où les journalistes paient souvent le prix fort de l’instabilité. Nouakchott, relativement épargnée par les turbulences sécuritaires et diplomatiques de ses voisins, fait désormais figure de pôle de stabilité ـ et de modèle possible en matière de gouvernance de l’information.

C’est dans ce contexte que s’est tenue cette rencontre, qualifiée de « constructive » par les deux parties. RSF a salué les réformes entreprises depuis 2019, notamment la création d’une commission dédiée à l’évaluation du cadre du journalisme, et a appelé à consolider ces acquis par la mise en œuvre de dix engagements pour le droit à l’information.

Une réception présidentielle, mais des absences remarquées

Si cette mission diplomatique est symboliquement forte, elle a toutefois suscité des critiques dans les cercles journalistiques mauritaniens. Plusieurs figures de la presse indépendante, notamment du Réseau des Médias Indépendants de Mauritanie (REMI), ont dénoncé le fait qu’aucun échange direct n’ait été prévu avec eux. Une omission perçue comme un signal préoccupant sur la sélection des interlocuteurs rencontrés par RSF.

« Il est incompréhensible que RSF se félicite de la liberté de la presse en Mauritanie sans prendre la peine de rencontrer ceux qui en vivent les réalités les plus rudes », confie un responsable du REMI, qui préfère garder l’anonymat.

« Les problèmes d’accès à l’information, les pressions économiques sur les médias indépendants, la gestion, les poursuites judiciaires déguisées… tout cela persiste, et peu d’ONG internationales en tiennent compte quand elles sont en mission. »

L’écart entre vision institutionnelle et terrain

Cette critique soulève une question centrale : quelle réalité évalue RSF lorsqu’elle établit ses classements ou mène ses plaidoyers ? S’il est indéniable que le gouvernement mauritanien a initié des réformes, leur impact reste inégal selon les interlocuteurs. Le fossé entre une presse publique en voie de régulation et des médias indépendants confrontés à des difficultés structurelles (financement, accès à la publicité étatique, protection juridique) demeure large.

Pour certains observateurs, la visite de RSF a davantage renforcé une dynamique institutionnelle que reflété la diversité des pratiques et des défis de terrain. « RSF a manqué une occasion d’entendre les voix critiques, ce qui est pourtant essentiel dans une démarche d’évaluation impartiale », souligne une journaliste mauritanienne.

Une ONG respectée mais parfois perçue comme éloignée

Cette situation met en lumière une critique plus globale adressée à RSF dans plusieurs régions du monde : une tendance à privilégier les interlocuteurs institutionnels au détriment des acteurs les plus vulnérables du secteur médiatique. En Mauritanie, comme ailleurs, certains estiment que l’organisation, bien qu’indispensable, gagnerait en légitimité à adopter une approche plus inclusive et ancrée dans les réalités locales.

« RSF est un acteur important, mais la liberté de la presse ne se mesure pas uniquement dans les salons présidentiels », commente un membre d’une association de défense des journalistes. « Elle se mesure aussi dans les salles de rédaction précaires, les journaux censurés, les voix marginalisées. »

Une promesse fragile à concrétiser

En clôturant sa visite, RSF a rappelé son engagement à suivre de près l’évolution du cadre légal et à soutenir un journalisme libre, indépendant et pluraliste en Mauritanie. Mais ce soutien devra aussi s’exprimer en reconnaissant toutes les composantes du paysage médiatique, y compris celles qui ne disposent pas d’un accès direct aux instances de pouvoir.

À l’heure où la Mauritanie ambitionne de jouer un rôle moteur pour la liberté de la presse en Afrique de l’Ouest, la reconnaissance des fragilités internes sera un passage obligé. Sans cela, les efforts institutionnels risquent de n’être perçus que comme une vitrine, plus que comme une transformation en profondeur.

M.D

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