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Les Youyous de l’Ambassadrice : Tradition et Protocole, un Faux Débat ?

Les Youyous de l’Ambassadrice : Tradition et Protocole, un Faux Débat ?

Le sommet de l’Union africaine de 2025 a été marqué par un moment pour le moins inhabituel : notre ambassadrice en Éthiopie, dans un élan d’enthousiasme, a lancé des zaghārīt – ou youyous – à la fin du discours du Président, venu clôturer son mandat en tant que président en exercice de l’organisation. Depuis, critiques et controverses se sont multipliées, dénonçant un acte jugé antiprotocolaire et peu conforme à la fonction diplomatique. Mais ce débat est-il réellement fondé
Les youyous ne sont pas de simples cris : ils sont une manifestation culturelle profondément ancrée dans les traditions de nombreux peuples africains et arabes. En Mauritanie, comme dans plusieurs pays du Sahel et du Maghreb, ils expriment la joie, la fierté et le triomphe. Que ce soit lors des mariages, des cérémonies officielles ou des victoires politiques, le zaghārīt est un symbole fort, presque sacré, de l’exultation populaire.
Dans l’histoire politique et militaire, des scènes similaires ont été observées à travers le continent. On se souvient de certaines figures emblématiques saluées par des youyous après des discours marquants ou des victoires historiques. Dans ce contexte, peut-on réellement reprocher à une diplomate d’avoir exprimé de manière spontanée une fierté nationale partagée par des millions de Mauritaniens ?
L’argument protocolaire avancé par les critiques repose sur une vision rigide de la diplomatie. Certes, les usages diplomatiques imposent une certaine retenue dans les manifestations publiques d’émotion. Mais ces règles ne sont ni figées ni absolues. Le protocole évolue avec le temps, et l’Afrique n’a pas à se conformer à des normes étrangères qui ne tiennent pas compte de son identité culturelle propre.
D’ailleurs, d’autres États africains n’hésitent pas à afficher leurs traditions au plus haut niveau. En Afrique du Sud, des chants et danses traditionnels accompagnent souvent des événements officiels. Au Rwanda, les discours présidentiels sont parfois ponctués d’ovations rythmées propres à la culture locale. L’uniformisation du comportement diplomatique selon des codes occidentaux ne devrait pas effacer l’authenticité des expressions culturelles africaines.
Cette polémique en dit long sur une forme de complexe postcolonial qui pousse certains à rejeter toute expression culturelle locale dans des cadres officiels internationaux. Il est paradoxal que l’Afrique, qui se veut aujourd’hui plus souveraine et fière de son identité, se retrouve à critiquer un geste profondément enraciné dans ses traditions.
L’essentiel n’est-il pas de juger la prestation du président au sommet de l’UA, son bilan et l’image qu’il a laissée de la Mauritanie, plutôt que de se focaliser sur un détail anecdotique ? En fin de compte, l’histoire retiendra la qualité de l’engagement mauritanien au sein de l’organisation, bien plus que quelques zaghārīt spontanés.

Loin d’être un impair diplomatique, cet épisode rappelle que la Mauritanie est une nation de traditions et de fierté. Il est temps d’assumer pleinement notre identité, sans craindre le regard de ceux qui voudraient enfermer l’Afrique dans des codes qui ne lui ressemblent pas. Les youyous de l’ambassadrice n’étaient pas une erreur ; ils étaient l’écho d’une nation fière d’avoir tenu la présidence d’une institution majeure du continent. Et à ce titre, ils méritent d’être compris, sinon célébrés.
Haroun Rabany
harounrab(at)gmail(dot)com

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