LES MAURES : CRISE IDENTITAIRE, CRISE EXISTENTIELLE
LES MAURES : CRISE IDENTITAIRE, CRISE EXISTENTIELLE
Au départ, le vaillant peuple maure, issu du mélange d’Arabes, de Berbères et d’Africains, a su se construire dans l’immensité désertique du nord de la Mauritanie actuelle. Il s’est doté d’une organisation politique (tribus…), sociale (féodalité…), économique (élevage et razzias…) et culturelle (mélange de musique berbère et africaine, entre autres). Ce peuple s’est structuré en émirats (Adrar, Brakna, Tagant, Trarza et autres), qui ont marqué son apogée et son épanouissement.
À partir de 1900, la colonisation, pour asseoir son autorité, a décidé de les unifier malgré leurs différences, créant ainsi des tensions internes. Certains, pour résister à cette domination, ont d’abord mis en place une résistance mentale, puis politique, et enfin militaire. Dès lors, l’islam et le racisme seront utilisés comme leviers pour forger une nouvelle identité arabe.
En 1955, un tournant s’amorce avec la sortie d’une jeune génération fougueuse de Maures de l’UPM, qui se répartissent ensuite entre la Nahda, l’USMM, le baathisme, le nassérisme et les Frères musulmans. Ces mouvements établissent une nouvelle doctrine : le principal obstacle à l’émancipation du Maure et à sa transformation en Arabe serait la présence des Noirs en Mauritanie.
Les Maures ayant choisi de devenir Arabes commencent alors à renier leur propre identité : ils ne seront désormais plus Maures, mais Arabes. Tout lien avec leur africanité doit être rompu. Il devient urgent de placer au pouvoir des figures capables d’appliquer cette politique :
1957 : Moktar Ould Daddah instaure la politique des 4/5e
En 1957, Moktar Ould Daddah devient président du Conseil de gouvernement. Il met en place une politique visant à favoriser les Maures en limitant l’accès des Noirs à certains postes administratifs et économiques, une stratégie connue sous le nom de politique des « 4/5e » .
1966 : Tentative de génocide des Noirs
En 1966, l’adoption d’une loi sur l’arabisation de l’enseignement secondaire provoque des tensions violentes entre Maures et Noirs. Ces derniers, se sentant marginalisés, protestent, ce qui entraîne des répressions sanglantes, des arrestations et des discriminations accrues .
1978 : Arrivée au pouvoir des nationalistes maures
Le 10 juillet 1978, un coup d’État militaire renverse Moktar Ould Daddah. Moustapha Ould Mohamed Saleck prend le pouvoir et inaugure une série de régimes militaires dominés par des nationalistes maures, qui renforcent l’arabisation et marginalisent encore plus les communautés noires .
1979 : Accélération de l’arabisation avec l’institutionnalisation des langues nationales
Le nouveau régime met en place des réformes linguistiques institutionnalisant l’arabe comme langue principale, reléguant ainsi les langues africaines comme le pulaar, le soninké et le wolof à un statut secondaire. Cette politique est vue comme un moyen d’assimilation forcée .
1983 : Réforme foncière
En 1983, une réforme foncière attribue des terres aux grands propriétaires, souvent Maures, au détriment des agriculteurs noirs. Cette réforme aggrave les inégalités économiques et conduit à l’expropriation de nombreuses communautés noires de leurs terres ancestrales .
1986-1991 : Élimination systématique de civils et militaires noirs
Entre 1986 et 1991, sous le régime de Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya, des milliers de militaires et civils noirs sont arrêtés, torturés et exécutés. L’armée mauritanienne procède à des purges ethniques sous prétexte de prévenir un complot des Noirs contre l’État .
Depuis 2009 : Politique de refus des pièces d’état civil aux Noirs
Depuis 2009, des réformes administratives compliquent l’accès des Noirs aux documents d’état civil (actes de naissance, cartes d’identité, passeports). Cette politique empêche de nombreux Mauritaniens noirs d’accéder aux services publics et à l’emploi .
Aujourd’hui : Expulsions fréquentes des étrangers noirs du pays
La Mauritanie expulse régulièrement des étrangers noirs, notamment des Sénégalais et des Maliens, sous prétexte de lutte contre l’immigration clandestine. Ces expulsions sont dénoncées par plusieurs ONG comme une politique discriminatoire visant à homogénéiser la population dans une optique arabo-islamique .
Pour couronner cette politique, la Mauritanie quitte l’OCAM en 1965 et adhère à la Ligue arabe en 1973, marquant ainsi son éloignement progressif de l’Afrique subsaharienne et son ancrage dans le monde arabe .
Aujourd’hui, ce complexe identitaire plonge la Mauritanie dans une situation critique. Le pays ne sait plus où se positionner :
Une arabisation forcée, marquée par l’embauche de Maures sans diplôme ou avec des diplômes falsifiés (84% selon un ministre).
Aucune vision stratégique, si ce n’est la recherche effrénée de subventions, prêts et dons destinés à être détournés.
Des Maures qui commencent à douter de leur arabité et à se dire qu’ils étaient mieux avant.
Des Maures qui réalisent que la prétendue menace noire n’était qu’un leurre, un mensonge. Malgré les massacres et injustices subis, les Noirs n’ont entrepris aucune action de revanche.
Les Maures doivent comprendre qu’ils sont Maures, et non Arabes, et en être fiers. Aujourd’hui, ils sont perdus et troublés. Leur véritable force repose sur le retour à leur civilisation originelle, faite d’hospitalité, d’ouverture et de valeurs culturelles riches.
Si je m’exprime ainsi, c’est parce que, comme d’autres Noirs, je ressens profondément cette crise identitaire et ses conséquences.
Nos frères sont Maures et nous les aimons tels qu’ils sont, car ils sont entiers.
J’appelle les Noirs de ce pays à aider leurs frères Maures à sortir de cette impasse et à reconstruire ensemble une Mauritanie unie et forte.
Bon Ramadan.
Paris, le 6 mars 2025
Wele Ibrahima