*Les Haratines: communauté sociale ou communauté ethnique ?
Les Haratines
Le débat en cours sur la question haratine porte sur plusieurs aspects qu’il convient de distinguer pour ne pas trop en disperser les termes et aboutir à l’incompréhension totale entre les débateurs.
L’on se souvient que pendant longtemps, au sein des intellectuels, spécialement dans la classe politique, l’aspect dominant était la question de savoir si, aujourd’hui, dans notre pays, l’esclavage existe ou non. Après bien des clarifications, on peut dire qu’il existe un vrai consensus, pour affirmer qu’en tant que système économique, social et politique spécifique, c’est à dire en tant que mode de production, l’esclavage n’existe plus, et a été graduellement remplacé par le féodalisme puis par le capitalisme colonial et national. Cependant, des pratiques esclavagistes parfois vivaces sont maintenues et coexistent avec les modes de production ultérieure, particulièrement à la campagne, dans certaines régions plus que dans d’autres, réduisant des dizaines voire des centaines de milliers de personnes à un état de dépendance marquée voire totale vis à vis des anciens maîtres, le plus souvent bidhane ( propriété foncière, mariage, héritage, préséance et fonctions sociales etc…).
Cet aspect ne fait plus vraiment débat et fait partie de l’ordre du jour constant en matière de reforme sociale dans le pays: éradication des pratiques esclavagistes et des séquelles du système et adoption de multiples lois anti-esclavagistes dont seule la mise en application pose problème.
Le second aspect de la question des haratines est celui en cours avec autant de saine et légitime passion que précédemment : les haratines constituent ils une » communauté » à part, ou appartiennent ils à la communauté maure ( ou arabe ou arabo-berbère- peu importe ici ) au même titre que les hal pular ( ou peul, ou toucouleur ou poullo- toucouleur- peu importe le terme, ici)?
Les Haratines sont un groupe social qui a longtemps été marginalisé et exclu de la société mauritanienne et dont la plupart des membres continuent encore à vivre comme des citoyens de seconde zone, dans beaucoup d’aspects de la vie nationale et sociale. Au sens neutre du terme, ils constituent bel et bien une » communauté ». Mais constituent-ils une communauté sociale ou une communauté ethnique, voilà la question centrale, à l’origine des malentendus et de la polémique.
Pour répondre à cette question, il est important de comprendre les caractéristiques de la communauté haratine et de les analyser à la lumière des définitions de communauté sociale et de communauté ethnique.
*Une communauté sociale*
Les Haratines partagent des expériences communes de marginalisation et d’exclusion. Ils ont été historiquement soumis à l’esclavage et à la servitude, et continuent de subir des discriminations et des inégalités dans la société mauritanienne actuelle. Ces expériences communes ont créé des liens sociaux et des relations entre les membres de la communauté haratine, qui se sentent instinctivement solidaires et partagent des objectifs communs de lutte pour les droits et la reconnaissance en terme d’égalité et d’intégration au sein de l’Etat.
Les Haratines ont également des pratiques et des traditions plus ou moins communes mais dont le profil culturel et comportemental est fondamentalement identique au sein de la société maure dans laquelle ce profil s’enracine, porté par le dialecte hassaniya et la culture maure. Ces éléments communs contribuent à renforcer les liens sociaux et à créer un sentiment d’appartenance à une communauté. Ce sentiment a tendance à se renforcer au fur et à mesure que la jeune génération haratine gagne en ouverture vis à vis du reste du monde grâce à l’éducation et à l’alphabétisation massives de ces 50 dernières années. « Grâce » également aux pratiques discriminatoires stupides et intolerables que subissent les membres de ce groupe social dominant démographiquement, de la part de l’Etat profond mauritanien et de ses gouvernements successifs.
*Pas une communauté ethnique*
Cependant, les Haratines ne constituent pas une communauté ethnique distincte. Ils ne partagent pas une identité ethnique propre, en dehors de la société maure, leur histoire douloureuse, leur culture très métissée étant organiquement tissées dans la société tribalisée et unifiée par la langue/ dialecte hassaniya. N’oublions pas qu’en Afrique tout particulièrement, le principal critère de l’ethnie est la communauté de langue. On est peul à cause de la langue peul ( haal pulaar); soninké car on parle soninké, wolof car on parle wolof. C’est la langue qui définit et trace les frontières des ethnies en Afrique. L’ethnologie et l’anthropologie moderne confirment fondamentalement la justesse de cette vision traditionnelle africaine. Pourquoi les haratines feraient-ils exception à cette règle générale africaine et même universelle ? La couleur de leur peau, pour l’essentiel noire ( même s’il y a des haratines « blancs » notamment au nord) ne fondent pas leur identité ethnique. Par rapport aux autres Maures ( bidhane ), la différence des haratines réside principalement dans leur statut social et leur histoire ( origines ) plus fortement négro-africaine ( bafour, soninké, bambara) mais aussi berbère, il est vrai.
De plus, les Haratines ne constituent pas un groupe homogène et compact, et il existe des différences non négligeable entre les Haratines de différentes régions et de différentes castes. Comme pour le reste des autres groupes sociaux ( tribus, fractions, castes…) mauritaniens, y compris les bidhanes ou les autres groupes négro-africains. Ces différences montrent que les Haratines ne sont pas une communauté ethnique uniforme, mais plutôt un groupe social complexe et multifacette.
En somme , les Haratines constituent une « communauté » sociale plutôt qu’une communauté ethnique. Ils partagent des expériences communes de marginalisation et d’exclusion, des liens sociaux et des relations entre les membres, ainsi que des pratiques et des traditions communes. Cependant, ils ne constituent pas une communauté ethnique distincte, et leur identité est celle des Maures au sein desquels ils constituent le groupe majoritaire
Cette classification a des implications importantes pour la compréhension de la société mauritanienne et pour les politiques de développement et de lutte contre la pauvreté. Il est essentiel de prendre en compte les besoins et les aspirations des Haratines en tant que communauté sociale, et de travailler à renforcer leurs capacités et à promouvoir leur inclusion dans la société mauritanienne.
GOURMO LÔ, 7 SEPTEMBRE 2025