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Les diplomaties audacieuses du Maroc

Les diplomaties audacieuses du Maroc
LETTRE DU MAGHREB. En proposant un accès économique à l’océan Atlantique à quatre pays du Sahel, Rabat fait de sa façade maritime un outil de son « soft power ».

Par Benoît Delmas

Publié le 21/01/2024 à 11h00

« Là où les autres voient des problèmes, le Roi voit des opportunités. » Cette phrase, sculptée au burin par Nasser Bourrita, ministre des Affaires étrangères de Sa Majesté, résume la politique extérieure du Maroc menée depuis le 20 août 2022. Ce jour-là, lors du discours annuel du Trône, Mohammed VI affirmait le grand tournant de son règne : « Je voudrais adresser un message clair à tout le monde, le dossier du Sahara est le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international. » « S’agissant de certains pays comptant parmi nos partenaires, traditionnels ou nouveaux, dont les positions sur l’affaire du Sahara sont ambiguës, nous attendons qu’ils clarifient […] d’une manière qui ne prête à aucune équivoque », avait-il ajouté. En clair : vous êtes avec moi ou sans moi. L’initiative du 23 décembre d’offrir la possibilité au Mali, au Burkina Faso, au Niger et au Tchad d’accéder à l‘océan Atlantique, via le port de Dakhla, fait partie de cette diplomatie économique, maritime et territoriale.

L’océan Atlantique dans le Sahara

La méthode royale ? Créer et saisir toutes les occasions permettant de renforcer son statut de puissance régionale et d’isoler l’Algérie, la puissance militaire de la région. L’offre faite à ces quatre pays du Sahel comporte plusieurs ressorts. Le premier est une façon de corriger une injustice géographique, en leur proposant l’accès à l’Atlantique via la connexion aux ports marocains. Un geste fort à l’égard de « pays frères africains » parmi les plus pauvres au monde, 86 millions d’habitants à eux quatre, population qui va doubler d’ici 2050. Le second relève du développement : élaborer la coconstruction d’un nouvel ensemble économique – structure dont la Chine est demandeuse – qui court de la Méditerranée jusqu’au tréfonds du Sahel. Troisième message, politique celui-là : peu importe que des putschistes dirigent ces pays, le Royaume ne s’occupe pas des affaires intérieures des autres États, il fait fi des coups d’État au Niger, Mali, Burkina Faso, putschs qui leur ont valu des sanctions des pays membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao).

Dernier argument : faire du port de Dakhla, ville capitale du Sahara occidental, une porte d’entrée économique pour développer un pan de l’Afrique qui en est privé, cette bande sahélienne en piteux état. L’offre peut surprendre car le Maroc ne partage aucune frontière avec ces nations. La Mauritanie, pays situé entre le Sahara occidental et le Mali, a été approchée.

Avec habileté, le Maroc présente le Sahara occidental marocain – vaste comme l’Italie, deux habitants par kilomètre carré – comme une des clés du désenclavement d’une partie de l’Afrique. Chemin faisant, il poursuit sa politique d’expansion des « terres du Sud », selon les mots employés par les Marocains. Argument massue : le développement du Sahel passera par un Sahara occidental marocain. Un argument qui pourrait convaincre les Européens, inquiets de la démographie galopante et de ses conséquences migratoires à leurs frontières.

L’initiative a de quoi faire rugir l’Algérie voisine. Les deux pays partagent une frontière commune de 1 778 kilomètres, mais celle-ci est fermée depuis 1994. Suite à un attentat commis dans un hôtel à Marrakech par des Français d’origine algérienne et marocaine (deux morts, une personne grièvement blessée), Rabat avait expulsé les Algériens sans papiers, présents sur son sol. En mesure de rétorsion, Alger avait bouclé la frontière terrestre. Cela fait vingt-neuf ans que cette situation perdure. L’évolution du dossier du Sahara occidental – considéré comme marocain par le Maroc quand Alger exige son indépendance – n’a pas amélioré les relations entre les deux pays, Alger ayant fermé les frontières maritimes et aériennes. En voulant former un grand ensemble de six pays, le Maroc isolerait son voisin. Comme une pierre jetée dans le pré carré algérien.

Pour l’heure, l’effet d’annonce reste limité. Les coûts d’une telle opération – infrastructures à construire par des pays aux finances publiques exsangues – rendent incertaine une concrétisation à court terme.

Le couteau suisse marocain

Le soft power made in Morocco fonctionne comme un couteau suisse. Il offre un nombre insoupçonné d’usages. On est très fier de ce « pouvoir doux », cette influence qui irrigue de nombreux domaines, du ballon rond à l’océan, des imams aux infrastructures… Au Royaume, tout est diplomatie. Le foot, l’islam, la finance, les ports… Formation des imams par un pays, dont le roi est « commandeur des croyants », hub bancaire pour un certain nombre de pays africains, organisateur de la prochaine Coupe du monde de football, en 2030, avec l’Espagne et le Portugal. Lors du Mondial au Qatar, l’équipe nationale s’était hissée jusqu’à la demi-finale, devenant l’étendard de tous les supporteurs du monde arabe et musulman. En voulant que son pays soit un hub entre le Nord et le Sud, l’Europe et l’Afrique, Mohammed VI a fixé un cap dont on voit les objectifs politiques et diplomatiques. Cette annonce explique noir sur blanc que, sans annexion du Sahara occidental par le Maroc, il n’y aura pas de croissance régionale. Déjà que le Maghreb est la région la moins intégrée économiquement au monde en raison de la guerre froide entre Rabat et Alger

Source: Point.fr

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