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Les déclarations du président de la Cour des comptes mauritanienne : réforme ou manœuvre politique ?

Le dernier rapport de la Cour des comptes mauritanienne suscite un débat entre volonté de transparence et calcul politique. Analyse indépendante des faits et de leurs implications pour la gouvernance.

Nouakchott – Rapide Info.
Les récentes déclarations du président de la Cour des comptes mauritanienne, Hmeida Ahmed  ont suscité un débat vif sur la portée réelle des réformes engagées dans la gouvernance publique. Entre volonté de transparence, modernisation institutionnelle et soupçons de communication politique, la ligne de crête est étroite.

Une institution qui s’affirme

Dans son dernier rapport couvrant les exercices 2022 et 2023, la Cour des comptes a présenté un tableau contrasté de la gestion publique. Si le président de la Cour a insisté sur « la consolidation des bonnes pratiques » et sur « la régularité accrue de la publication des rapports », il a également évoqué des « progrès notables » en matière de digitalisation, de formation des magistrats et d’harmonisation des méthodes de contrôle selon les standards internationaux.

Cette dynamique nouvelle s’inscrit dans un contexte où la Cour, longtemps perçue comme une institution technique sans influence politique, tente de s’imposer comme un acteur clé de la transparence publique. Pour la première fois depuis plusieurs années, le rapport a été rendu public à temps, assorti de documents de synthèse accessibles au grand public.

Des dossiers sensibles, des suites incertaines

Derrière le ton mesuré du rapport se cachent plusieurs dossiers délicats. Le plus emblématique demeure celui du Fonds spécial de solidarité Covid-19, où la Cour relève des irrégularités et des abus dans la gestion des dépenses d’urgence. D’autres chapitres pointent des violations du code des marchés publics dans plusieurs ministères, des dysfonctionnements persistants à la SOMELEC, ainsi que des irrégularités contractuelles dans le secteur minier, notamment autour de Tasiast.

Si la publication de ces constats représente un pas vers plus de transparence, leur traitement demeure incertain. Aucun dossier n’a encore fait l’objet de poursuites judiciaires publiques, malgré les appels répétés de l’opposition et de la société civile.

Le Premier ministre, Moctar Ould Diay, a néanmoins convoqué les ministères concernés pour établir des plans d’action et de correction à soumettre d’ici la mi-octobre. Il a rappelé l’ordre du président de la République, Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, exigeant « l’application stricte des recommandations de la Cour ».

Entre réforme et prudence politique

Pour plusieurs observateurs, ces signaux traduisent une volonté réformatrice réelle mais encore contenue.
« Le fait même que le rapport soit rendu public et discuté ouvertement est une avancée », souligne un économiste mauritanien. « Mais le test décisif reste l’application des recommandations et la capacité du pouvoir à laisser la justice aller au bout des dossiers. »

L’opposition, de son côté, accuse le pouvoir de vouloir « contrôler le tempo » des révélations et de limiter leur portée politique. Dans un communiqué récent, plusieurs formations ont demandé l’ouverture d’enquêtes judiciaires urgentes, estimant que la corruption « reste un fléau systémique que les rapports successifs décrivent mais que le pouvoir ne sanctionne pas ».

Les promesses et les précédents

La Mauritanie dispose depuis plusieurs années d’un arsenal juridique complet en matière de contrôle des finances publiques. Mais les précédents rapports de la Cour montrent un décalage constant entre les recommandations formulées et leur exécution effective.
La nouveauté de la période actuelle réside dans la visibilité politique du processus. La Cour bénéficie désormais d’une autonomie renforcée et d’une exposition médiatique accrue, ce qui pourrait la contraindre à davantage de résultats tangibles.

Un équilibre encore fragile

En somme, la Mauritanie semble engagée dans un mouvement de réformes institutionnelles graduelles, mais sous contrôle étroit du pouvoir exécutif. La publication du rapport 2022-2023 et la communication de la Cour marquent un pas vers la transparence, sans encore constituer un véritable tournant judiciaire.

Tout dépendra désormais de la traduction effective des recommandations : poursuites, sanctions, ou simples ajustements administratifs.
Le pays se trouve face à une alternative : transformer la Cour des comptes en un véritable levier de gouvernance, ou en faire un outil d’équilibre politique maîtrisé.


Encadré : cinq dossiers à surveiller

Dossier Observation de la Cour État actuel
Fonds Covid-19 Irrégularités et abus dans la gestion du fonds Aucune poursuite judiciaire connue
Marchés publics Violations du code dans plusieurs ministères Plans d’action ministériels en cours
SOMELEC Dysfonctionnements structurels et dépenses mal justifiées Réorganisation interne annoncée
 Secteur minier Manquements dans les procédures contractuelles Pas d’ajustement rendu public
Gestion administrative Retards de reddition et faiblesses du contrôle interne Instruction présidentielle pour application stricte

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