L’Égypte veut peser dans la reconstruction de la Libye

L’Égypte espère envoyer trois millions de travailleurs chez son voisin libyen pour participer à la reconstruction du pays, dévasté par dix années de chaos.

Près de 2 000 km d’asphalte le long de la Méditerranée relient les principales villes de Libye, de la Tunisie à l’Égypte. Au moment de la reprise des pourparlers de paix à Berlin, ce mercredi 23 juin, la perspective de remettre en service cet axe, par la réouverture attendue du tronçon Misrata-Syrte, fermé en 2019 à la suite de l’offensive lancée par le maréchal Khalifa Haftar, apparaît comme un nouveau jalon vers la fin d’une décennie de chaos.

« L’autoroute n’est pas tout à fait achevée sur ce tronçon», précise Hani Safrakis. « Mais elle aidera bientôt à la reconstruction en abaissant les coûts de transport », assure cet homme d’affaires libyen originaire de Benghazi qui s’apprête à enfiler le costume de président de la chambre de commerce égypto-libyenne, lors d’une réunion qui se tiendra dans quelques jours à Tripoli.

Simplifier le passage de la frontière terrestre « inamicale »

Depuis la formation d’un nouveau gouvernement intérimaire, en février, avec à sa tête le premier ministre Abdelhamid Dbeibah, la reconstruction du pays se dessine et ne manque pas d’aiguiser l’appétit du voisin égyptien.

« Mon rôle est de faciliter les échanges entre les deux pays », reprend ce chef d’entreprise installé au Caire depuis plus de quarante ans, à la tête de sociétés implantées de part et d’autre de la frontière. Ses recommandations sont précieuses au moment où le ministre égyptien de la main-d’œuvre a déclaré, en marge d’une rencontre avec son homologue libyen le 14 juin, vouloir envoyer trois millions de travailleurs égyptiens en Libye.

Hani Safrakis plaide notamment pour la reprise des liaisons aériennes directes depuis Tripoli vers Le Caire, et non plus seulement vers Alexandrie comme actuellement, ainsi que pour une simplification du passage de la frontière terrestre, qu’il juge en l’état « inamical ».

Pour défendre ses intérêts, l’Égypte multiplie les rencontres bilatérales depuis un premier déplacement, fin avril, du premier ministre égyptien à Tripoli. Cette réunion avait débouché sur la signature de plusieurs mémorandums d’accord, dont un sur la circulation de la main-d’œuvre.

La Turquie, principal pays investisseur, devant la Russie et l’Italie

Car Le Caire n’est pas seul dans la course aux gros contrats. En tête, la Turquie est « un bolide redoutable en Afrique et la puissance salvatrice en Libye », souligne le chercheur Jalel Harchaoui. « Ankara a laissé en 2011 une ardoise de 18 milliards de dollars de contrats à honorer », ajoute ce spécialiste de la Libye au sein du réseau Global Initiative against Transnational Organized Crime.

Suivent la Russie, qui dispose de mercenaires sur place, l’Italie, le partenaire historique, et l’Égypte. Pour espérer une percée, celle-ci devra s’implanter en Tripolitaine, qui représente les deux tiers du PIB national.

Avant la chute de Mouammar Khadafi, 2,5 millions d’étrangers se trouvaient en Libye. Selon un rapport des Nations unies, au moins un million d’Égyptiens y étaient encore installés en 2014, avant qu’une majorité d’entre eux ne fuie les combats.

« Dans les années 2000, les Égyptiens en Libye étaient principalement des commerçants », souligne Jalel Harchaoui. Bien que l’Égypte ne soit pas la mieux placée pour obtenir des contrats de construction, le retour de ses travailleurs pourrait ainsi dépendre de l’activité commerciale créée par des chantiers conduits par d’autres puissances.

Nouveaux débouchés en l’absence d’emplois en Egypte

« Les travailleurs égyptiens ont une langue et une culture en commun avec les Libyens, ils constituent une main-d’œuvre non qualifiée, très peu chère, de ce fait ils répondent à une demande qu’ils sont seuls capables de satisfaire », affirme Hani Safrakis. Selon Jalel Harchaoui, l’objectif des trois millions est néanmoins « irréaliste et démagogique », quand bien même cette population toujours croissante se trouve confrontée à un marché du travail saturé en Égypte même.

Déjà, les transferts d’argent de la diaspora constituent la première rente de l’Égypte, devant le tourisme, avec en moyenne 21 milliards de dollars (17,6 milliards d’euros) par an. Au moment de la « saoudisation » des emplois en Arabie saoudite, donc du retour forcé dans leur pays d’Égyptiens qui se retrouvent au chômage, la Libye peut offrir de nouveaux débouchés.

Martin Roux, correspondant au Caire,

La Croix

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