Le «Russiagate» met le Parlement européen sous la loupe de la justice

Le «Russiagate» met le Parlement européen sous la loupe de la justice
Le Belge Alexander De Croo pointe le développement d’un réseau d’influence favorable à Moscou parmi les eurodéputés. Objectif pour la Russie: minimiser la guerre en Ukraine.
13/04/2024
Après le Qatar, le Maroc et la Mauritanie, au tour de la Russie? Vendredi, le Premier ministre belge Alexander De Croo est sorti devant la presse pour annoncer qu’une enquête sur un réseau d’influence russe est en cours au Parlement européen, parallèlement à ce qui se passe dans certains pays. Le libéral précise que des eurodéputés auraient été payés par Moscou pour promouvoir sa propagande.

L’enquête lancée par le Parquet fait suite à la découverte à la fin du mois de mars par les autorités tchèques d’une opération prorusse d’ingérence en Europe, laquelle implique des réseaux d’espionnage. Moscou a approché des eurodéputés, dont certains auraient été payés pour promouvoir sa propagande.
L’influence prorusse aurait notamment été relayée via le site d’information Voice of Europe, basé à Prague. Objectif: dissuader l’UE d’aider l’Ukraine dans sa lutte contre l’invasion russe lancée en février 2022. Pour cela, l’une des priorités est de faire élire en juin prochain davantage de candidats prorusses tout en travaillant les esprits en faveur de Moscou. L’hémicycle européen, scruté en permanence par des dizaines de milliers de diplomates, de lobbyistes et de journalistes, représente en la matière un socle de propagation potentiellement efficace.

Elargir le mandat du Parquet européen

Alexander De Croo a dit être «en contact fréquent » avec son homologue tchèque, Petr Fialaet, ainsi qu’avec la présidente du Parlement européen Roberta Metsola. La Belgique a demandé à Eurojust (l’agence européenne de coopération judiciaire) de se réunir en urgence. «Il conviendrait potentiellement d’élargir le mandat du Parquet européen et de l’Office européen de lutte contre la fraude, l’OLAF, pour leur permettre d’agir contre cette ‘menace russe’», appuie De Croo.

Que sait-on exactement de l’affaire? «Les paiements en liquide n’ont pas eu lieu en Belgique, mais les interférences oui», explique le Premier ministre. Les regards se tournent notamment vers l’extrême droite flamande, les députés du Vlaams Belang Filip Dewinter et Filip Brusselmans ayant donné des interviews à Voice of Europe.

Les Tchèques pointent pour leur part l’ancien député ukrainien et homme d’affaires proche du Kremlin Viktor Medvedtchouk, ainsi que l’entrepreneur versé dans les médias Artem Martchevsky, l’homme qui fixe les contenus de Voice of Europe. Tous deux sont inscrits sur la liste tchèque des sanctions. De nombreuses personnes soupçonnées d’espionnage pour la Russie, dont des pseudo-diplomates ainsi que des diplomates accrédités auprès de l’UE, ont été expulsées de Belgique ces deux dernières années, a rappelé Hadja Lahbib, la cheffe de la diplomatie belge.

Alternative pour l’Allemagne dans le collimateur de la justice

La presse tchèque ajoute que les pots-de-vin concernaient des responsables politiques de Belgique, France, Allemagne, Hongrie, des Pays-Bas et de Pologne. La formation d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) serait dans le collimateur de la justice.

L’enquête sur le «Russiagate» tire parti d’un changement récent dans la législation belge. La loi réformant l’article 135 bis du Code pénal a été adoptée le… 8 avril dernier. Il y a une semaine encore, le fait «d’influencer ou tenter d’influencer un processus démocratique (…) en faveur d’un Etat étranger» n’était pas criminalisé. Une peine de prison de 3 à 5 ans et une amende de 1.000 à 20.000 euros peuvent être désormais infligées à qui commet de tels actes. L’initiative de ce changement avait été prise par l’ex-ministre de la Justice, le libéral flamand Vincent Van Quickenborne, en suite du Qatargate.
Le Qatargate, rappelons-le, a trait à une opération d’influence menée sur le Parlement européen à l’occasion de la dernière coupe du monde de football. Le Qatar aurait soudoyé plusieurs eurodéputés pour embellir son image, les autorités qataries étant accusées notamment de ne pas respecter les droits de l’homme. Les parlementaires en question restent inculpés, mais les preuves manquent de toute évidence pour les faire condamner lourdement. La Mauritanie et le Maroc sont également visés à un autre niveau.

Des nouvelles du Qatargate

Interrogé sur l’avancement de l’enquête, Alexander De Croo a rétorqué que la justice belge avait fait «ce que (le Parlement européen) aurait dû faire». Cette charge a été appuyée par la ministre des Affaires étrangères Hadja Lahbib pour qui «certaines institutions européennes ne sont pour l’instant pas organisées par rapport à une nouvelle réalité». La cheffe de la diplomatie a toutefois rappelé le vote récent instituant un organe d’éthique commun à plusieurs institutions de l’UE, pour renforcer la lutte contre d’éventuelles corruptions internes et des interférences étrangères.

Dans le contexte de la guerre que mène la Russie en Ukraine, toute tentative d’influence en faveur de Moscou sur le territoire européen prend évidemment un caractère grave. Bruxelles est traditionnellement présentée comme un nid d’espions en raison de la présence des institutions européennes et de l’Otan. Mais depuis deux ans, cette réalité a profondément évolué, l’Union européenne apportant son aide politique, financière et matérielle à Kiev.

En février, les eurodéputés avaient déjà dénoncé des tentatives de la Russie de recruter certains d’entre eux en tant qu’agents d’influence. Moscou aurait cherché cette fois-là encore à convaincre les partis d’extrême droite de minimiser le soutien à l’Ukraine.

La réunion du Concert noble annulée

Dans un registre proche, soulignons que la réunion qui aurait dû rassembler plusieurs figures des extrêmes droites et des populismes européens (Victor Orban, Eric Zemmour, Nigel Farage…) à Bruxelles les 16 et 17 avril a été annulée. Elle aurait dû se tenir dans le très select Concert noble, à deux pas du Parlement européen. Mise sous pression par la Ligue des droits humains et un collectif antifasciste, l’association Edificio qui gère le Concert noble a jeté l’éponge. Rien ne dit pour autant que la réunion ne se tiendra pas ailleurs et/ou à un autre moment.

Source: virgule.lu

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