Le rapport 2022-2023 de la Cour des comptes révèle une gestion chaotique : quelle gouvernance financière en temps de crise ?
Le rapport 2022-2023 de la Cour des comptes vient de jeter une lumière crue sur une gestion financière chaotique, révélant les failles d’un État pris de court par l’urgence et miné par ses propres lourdeurs bureaucratiques. C’est pourquoi Rapide Info s’est posé une question centrale : que doit faire la Cour des comptes face aux irrégularités comptables dans un contexte de pandémie, d’inondations ou d’urgence humanitaire ?
Dans les moments de crise — qu’il s’agisse d’une pandémie, d’inondations ou de tout autre choc humanitaire — les gouvernements sont souvent amenés à mobiliser rapidement des ressources financières exceptionnelles. Mais cette urgence, justifiant parfois des procédures dérogatoires, ne saurait dispenser les gestionnaires publics de leurs obligations de transparence et de conformité comptable.
C’est précisément là que la Cour des comptes entre en jeu.
Le rapport 2022-2023 de l’institution mauritanienne vient d’ailleurs rappeler, avec une rigueur implacable, l’ampleur des défaillances administratives observées dans la gestion de certains fonds publics. Entre dépenses non justifiées, imputations douteuses et retards dans la reddition des comptes, le document met en évidence un système fragilisé par ses lourdeurs bureaucratiques et par un manque de coordination entre les organes de contrôle et d’exécution.
Un rôle central de contrôle et de régulation
Institution supérieure de contrôle des finances publiques, la Cour des comptes veille à la régularité, à la sincérité et à la performance de la gestion publique. En cas de non-conformité d’écritures comptables, elle doit avant tout identifier, documenter et qualifier les anomalies : écarts entre dépenses et crédits autorisés, pièces justificatives manquantes, imputations erronées ou encore dépenses non conformes aux procédures.
Une fois ces constats établis, la Cour notifie des observations provisoires à l’administration concernée. Ce dialogue contradictoire permet à la partie mise en cause de justifier ou de corriger les erreurs constatées, avant la publication d’un rapport définitif.
Des rapports publics pour plus de transparence
En période de crise, la Cour peut publier des rapports spéciaux sur la gestion des fonds d’urgence, comme ce fut le cas dans plusieurs pays lors du financement de la lutte contre la COVID-19 ou de programmes d’aide aux sinistrés des inondations.
Ces rapports constituent un outil de transparence démocratique : ils identifient les faiblesses, désignent les responsabilités et formulent des recommandations pour renforcer la gouvernance financière.
Des sanctions en cas de fautes graves
Si les irrégularités sont avérées, la Cour des comptes dispose de moyens de sanction : amendes pour les comptables publics fautifs, mise en débet, voire transmission au parquet en cas de soupçons de fraude ou de détournement de fonds.
Quant aux ordonnateurs — ministres, maires ou directeurs d’agences publiques — ils peuvent être poursuivis pour faute de gestion lorsqu’ils ont engagé des dépenses illégales ou injustifiées.
L’urgence ne justifie pas l’opacité
Certes, la gestion d’une pandémie ou d’une catastrophe naturelle peut justifier des procédures exceptionnelles : marchés de gré à gré, décaissements accélérés, simplification des circuits administratifs. Mais ces assouplissements ne doivent pas devenir une porte ouverte à l’opacité.
L’urgence ne dispense pas de rendre des comptes ; elle impose au contraire un contrôle postérieur plus rigoureux.
Renforcer la gouvernance financière en temps de crise
Pour tirer les leçons des crises passées, la Cour des comptes devrait :
- renforcer l’audit des fonds d’urgence et des dépenses exceptionnelles ;
- publier régulièrement des rapports publics accessibles aux citoyens ;
- collaborer avec les institutions internationales (Banque mondiale, FMI) pour harmoniser les normes de contrôle ;
- encourager la digitalisation des écritures comptables et la formation des gestionnaires publics à la gestion de crise ;
- proposer des réformes durables pour une meilleure traçabilité des dépenses.
En définitive, la Cour des comptes n’est pas un simple organe de contrôle a posteriori : elle constitue une garantie essentielle de la bonne gouvernance, surtout lorsque la solidarité nationale s’exprime dans l’urgence et que chaque ouguiya dépensée doit être justifiée.
Ahmed Ould Bettar, gestionnaire
membre du réseau des journalistes économistes de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies ( CEA)
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