Le Maghreb à l’épreuve de la pandémie de Covid-19


Interview14 décembre 2020
Le point de vue de Brahim Oumansour

Le Maghreb, déjà ébranlé par des mouvements de contestations, n’a pas échappé à la pandémie du Covid-19. Cette crise sanitaire apparait comme un nouvel obstacle pour les pouvoirs en place, les oppositions, mais surtout pour la situation économique des pays et ce sur fond de fake news. Entretien avec Brahim Oumansour, chercheur associé à l’IRIS, spécialiste du Maghreb

Comment sont touchés les pays du Maghreb et quel accès aux vaccins ?

Si le bilan de la crise sanitaire est de loin moins tragique que celui observé en Europe, aux États-Unis ou au Brésil, les pays du Maghreb enregistrent, néanmoins, une recrudescence du nombre de cas de contaminations et de décès très inquiétante ces derniers mois annonçant une deuxième vague plus sévère. Ces évolutions contraignent les États à durcir les mesures : prolongation de l’état d’urgence sanitaire au Maroc, durcissement du confinement partiel en Algérie et couvre-feu en Tunisie.

Cela étant, c’est sur les plans économique et social que l’impact est plus inquiétant. Les trois pays du Maghreb subissent une asphyxie économique en conséquence de la récession causée par le confinement planétaire. La défaillance du système de santé – manque et détérioration des infrastructures et de matériel, aggravés par l’émigration des médecins maghrébins – rend difficile la prise en charge du flux de malades. De plus, au niveau social, la population maghrébine vit une situation particulièrement difficile depuis le début de la crise. Les mesures d’assistances financières adoptées par les trois États pour aider les populations fragiles sont loin de répondre aux conséquences induites par le confinement et à l’inflation des produits de base, d’autant que l’économie parallèle dans les trois pays dépasserait les 40% dans certains secteurs. Cette lourde récession induit une grande montée du chômage et une contraction importante du budget de l’État contraignant à des emprunts étrangers. Cela recèle de nombreuses incertitudes quant à la capacité des autorités à gérer la crise économique et sanitaire, à savoir garantir l’accès aux vaccins à leurs citoyens.

Concernant ces nouvelles mesures, ont-elles servi à annihiler les mouvements contestataires ?

La crise du Covid-19 est un coup dur pour les mouvements de contestations maghrébins, principalement le Hirak algérien : la crise sanitaire a contraint les manifestants à suspendre les marches hebdomadaires qui avaient lieu le vendredi, et le mardi pour les étudiants. La crise sanitaire devient ainsi une aubaine pour le pouvoir qui utilise ce contexte pour durcir sa politique répressive envers le mouvement de contestation, recourant à l’arrestation et condamnation de plusieurs journalistes et militants. C’est aussi le cas au Maroc où l’on constate une forte régression des droits de l’homme et de la liberté d’expression en conséquence de l’adoption de lois et de politiques répressives ciblant les opposants, notamment les militants sahraouis.

Toutefois, les mouvements se poursuivent en Algérie sous d’autres formes, notamment sur les réseaux sociaux avec des échanges, des dénonciations contre la répression et les condamnations, en plus de l’organisation par des associations et collectifs de conférences et débats diffusés directement sur ces réseaux sociaux. La fronde populaire reste ainsi vivace, voire renforcée, comme le révèle le taux d’abstention record lors du référendum sur la révision constitutionnelle du 1er novembre dernier. Aujourd’hui, l’avenir du Hirak est incertain. Mais le contexte politique, la détérioration de la situation économique et sociale, la situation dégradée dans les hôpitaux et l’incapacité du système de santé algérien à gérer la crise sanitaire pourraient pousser les Algériens à revenir dans la rue. L’état de santé du président, hospitalisé depuis plus d’un mois en Allemagne, renforce l’inquiétude des Algériens concernant leur avenir et celui du pays. Quelques marches ont déjà repris notamment en Kabylie.

Au Maroc, le regain des tensions entre Rabat et le Polisario revient à plusieurs facteurs importants. D’abord, la politique répressive de Rabat conjugue avec la lassitude des Sahraouis du maintien du statu quo en leur désavantage, en raison notamment de l’exploitation illégale par Rabat des richesses naturelles – phosphate, poissons, produits agricoles – exportées à l’étranger via le passage frontalier avec la Mauritanie, Guerguerat. Les tensions ont été aussi exacerbées depuis le début des pourparlers entre Tel-Aviv et Rabat pour la normalisation des relations entre les deux États en contrepartie de la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental par les États-Unis, Israël, les EAU et autres alliés, présageant le recours au rapport de force qui a débuté par l’ouverture du consulat émirati à Laâyoun, dans le but d’imposer le fait accompli. La crise sanitaire de la covid-19 pourrait jouer un rôle d’accélérateur dans la mesure où l’asphyxie économique que subit le Maroc contraint Rabat à céder face à la pression de Washington en contrepartie d’une aide financière. Les dirigeants du Polisario et de la RASD subissent, à leur tour, une montée de pression qu’exerce sur eux la population sahraouie démunie et fragilisée économiquement par la crise sanitaire.

Dans la crise actuelle, quel est l’impact des fake news dans les pays du Maghreb ?

Il est difficile d’évaluer précisément l’impact des fake news, car il dépend du niveau d’éducation et du sujet concerné. Les populations non diplômées sont souvent plus réceptives aux informations mensongères. Les fake news relatives au Covid-19 présentent un grand défi pour les États en termes de communication face au flux des informations mensongères à l’ère de la propagation rapide de l’information grâce au digital et dans un contexte marqué par la défiance et le manque de confiance envers les autorités.

Il y a eu beaucoup de fake news et de défiance autour des informations concernant le Covid-19. Par exemple, la population maghrébine avait mis du temps pour croire à l’existence du coronavirus au début de la pandémie. Beaucoup de Maghrébins, notamment les Algériens, croyaient à une invention des autorités dans le but de mettre fin au Hirak. Par ailleurs, les autorités participent indirectement à l’amplification des fake news par le recours des médias officiels et proches des pouvoirs à la diffamation des opposants, notamment en Algérie et au Maroc.

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Cet article est publié dans le cadre de l’Observatoire (Dés)information & Géopolitique au temps du Covid-19 de l’IRIS.

IRIS

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