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Le Japon doit être plus ambitieux en Afrique

Le Japon doit être plus ambitieux en Afrique

À l’occasion de la 8e TICAD, les dirigeants africains devraient exhorter le gouvernement japonais à encourager ses entreprises à investir dans la chaîne de valeur en Afrique. De nombreux résultats sont à attendre du rendez-vous estival de Tunis.

Publié dans Magazine de l’Afrique  par Hannah Ryder et Ivory Kairo

« L’Afrique, un continent brillant et plein de croissance dynamique, n’est plus un bénéficiaire de l’aide », avait déclaré l’ancien Premier ministre japonais Shinzo Abe, dans un discours prononcé en 2014 à Addis-Abeba. Alors dans quel contexte le Japon prépare-t-il désormais la 8e conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD), qui se tiendra en Tunisie en août 2022 ?

La TICAD a vu le jour en 1993. À l’époque, elle était présentée comme une conférence destinée à réunir le Japon, les partenaires du développement et les dirigeants africains. Elle est organisée en collaboration avec la Commission de l’Union africaine (CUA), la Banque mondiale et le PNUD (Programme des Nations unies pour le développement). Elle se distingue ainsi de ses successeurs, tels que le FOCAC de la Chine, qui n’impliquent guère d’autres partenaires bilatéraux ou multilatéraux. Néanmoins, étant donné que le Japon en est l’hôte conjoint, les réunions désormais triennales de la TICAD ont également servi à consolider les relations du Japon et de l’Afrique.

Encourager le Japon à écouter plus attentivement les besoins des pays africains et à les soutenir dans les forums multilatéraux semble un autre résultat à attendre de la TICAD8. Les dirigeants japonais sont réellement ouverts à une nouvelle façon de travailler, respectueuse et mature, main dans la main avec leurs homologues africains.

Lors de la dernière TICAD, qui s’est tenue en 2019 à Yokohama, le Japon a mis l’accent sur les investissements du secteur privé en Afrique de plus de 20 milliards de dollars entre 2016 et 2019. En 2019, 796 entreprises japonaises sont présentes en Afrique contre 520 en 2010.

Selon une enquête sur les entreprises japonaises en Afrique de l’Organisation japonaise du commerce extérieur (JETRO) en 2020, un tiers de ces entreprises étaient dans le secteur manufacturier. Le plus grand nombre se situant en Afrique australe d’abord, et en Afrique du Nord ensuite.

Ainsi, lors de la TICAD7, l’ancien Premier ministre, disparu tragiquement le 8 juillet 2022, avait déclaré : « Le gouvernement japonais fera tout son possible pour soutenir les entreprises japonaises qui se développent en Afrique. » Et l’on s’attendait largement à ce que les entreprises japonaises continuent à développer leurs investissements sur le continent, compte tenu de la taille de son marché et de son potentiel de croissance.

Malheureusement, avec la Covid-19, cette attente a été freinée. Les entreprises japonaises continuent de percevoir le marché africain comme un marché à risque, 65% des entreprises citant la réglementation ou la législation comme un frein à l’investissement en Afrique. Viennent ensuite dans l’ordre : les conditions financières (46,7 %), les mauvaises infrastructures (44 %), les problèmes de recrutement et de main-d’œuvre (39,4 %) et les réglementations commerciales (33,5 %).

En outre, bien qu’il s’agisse de la première TICAD depuis le lancement de la Zone de libre-échange continentale africaine, la réunion intervient à un moment de grande incertitude géopolitique. Il faudra bien « vendre l’Afrique » dans un contexte de guerre entre la Russie et l’Ukraine, de tensions persistantes entre les États-Unis et la Chine, et d’inquiétudes quant aux retombées sur les pays africains des crises alimentaires de l’énergie et de la dette.

Quatre résultats à atteindre lors de la TICAD

Le Sommet de la TICAD 8 sera centré sur trois piliers très larges : l’économie, la société, et la paix et la stabilité. Moins de participants devraient se rendre en personne en Tunisie en raison des contraintes sanitaires.

Les dirigeants et les entreprises d’Afrique doivent se donner la peine d’y assister. Quatre résultats utiles pourraient être obtenus grâce au sommet si les Africains font pression pour qu’ils se concrétisent.

1. Des investissements en amont de la chaîne de valeur.

Le secteur privé japonais dispose d’un potentiel important en Afrique, mais les investisseurs doivent cesser de considérer le continent comme un marché de vente (par exemple de voitures). Ils doivent le considérer comme un lieu d’ajout de valeur et de fabrication, au-delà de l’assemblage. Le gouvernement japonais peut efficacement y contribuer.

Le Japon n’a pratiquement aucun accord commercial avec les pays africains, si ce n’est des programmes d’exemption de droits et de quotas pour les pays les moins avancés, souvent sous-utilisés en raison de barrières non tarifaires. Il n’a conclu aucun accord commercial préférentiel avec un pays africain. Seuls quatre pays africains (l’Égypte, le Maroc, l’Afrique du Sud et la Zambie) ont conclu des conventions de double imposition avec le Japon. En ce qui concerne la protection des entreprises et des actifs, le Japon a conclu des accords avec cinq pays africains, dont l’Égypte et le Kenya.

Les gouvernements africains peuvent donc insister auprès du gouvernement japonais pour qu’il encourage ses entreprises à investir davantage dans la chaîne de valeur en Afrique. C’est une mesure de gestion des risques pour éviter des problèmes tels que l’impact sur les prix des matières premières qu’ont connu des entreprises japonaises comme Sumitomo à Madagascar. Cela signifie également l’ouverture des marchés de consommation japonais pour les produits africains.

2. Le développement des infrastructures.

Le Japon peut apporter une valeur ajoutée dans le domaine des infrastructures que la Chine et d’autres pays membres du G7 ne peuvent pas offrir. L’expérience du Japon en matière de conception et de construction d’infrastructures urbaines efficaces pour des populations de fortes densités est très pertinente pour un continent africain en voie d’urbanisation. En 2022, Lagos, par exemple, comptera 15,4 millions d’habitants sur une superficie de 1 171 km² contre 37,2 millions d’habitants sur 2 194 km² pour le grand Tokyo. La population de Lagos devrait atteindre 32,6 millions d’habitants d’ici à 2050. Il est donc temps de profiter de l’expertise et des investissements japonais en matière d’urbanisme.

Pourtant, jusqu’à présent, ce que le Japon a apporté à l’Afrique, ce sont des conseils et le transfert des méthodes les moins chères des systèmes de transport rapide par bus, et non des systèmes de métro ou de métro à grande vitesse.

Les bus ont bien sûr leur place, mais les Africains méritent les systèmes les plus modernes. Les dirigeants africains peuvent encourager le Japon à faire mieux et même à se spécialiser dans le soutien de ce type d’infrastructures urbaines véritablement adaptées aux villes africaines.

3. Les partenariats.

Les gouvernements africains sont sous pression pour éviter de contracter de nouvelles dettes, ce qui signifie que les PPP (Partenariats public-privé) sont désormais en vogue dans le domaine du développement. On le sait, l’expérience de l’Afrique en matière de PPP est mitigée. Les entreprises étrangères, peu enclines à prendre des risques, choisissent souvent d’imposer des prix élevés, ce qui est décourageant. Les entreprises japonaises ont toutefois investi dans certains PPP, notamment dans le secteur de l’énergie, et ont le potentiel de faire plus et mieux, surtout si elles s’associent à des entreprises africaines. Le gouvernement japonais pourrait inciter les entreprises japonaises à s’associer localement aux projets africains.

4. Le soutien à l’Afrique dans les forums internationaux.

Dernier point, mais non des moindres, bien que seulement 10 % de son budget d’Aide publique au développement est destiné à l’Afrique, le Japon, à juste titre selon nous, a continué à offrir des financements concessionnels, notamment par le biais des banques de développement multilatérales et régionales.

Le Japon a un certain poids au sein des conseils d’administration des grandes entreprises du pays et peut plaider en faveur d’un certain degré de réforme structurelle dans les banques qui serait utile aux pays africains.

Par exemple, une révision des cadres de la viabilité de la dette , ou de la manière dont les banques évaluent les différentes formes de garanties, ou de la manière dont les banques évaluent les projets d’infrastructure régionaux, tels que ceux du PIDA (Programme de développement des infrastructures pour l’Afrique) de l’UA.

Encourager le Japon à écouter plus attentivement les besoins des pays africains et à les soutenir dans les forums multilatéraux semble un autre résultat à attendre de la TICAD8.

Les dirigeants japonais sont réellement ouverts à une nouvelle façon de travailler, respectueuse et mature, main dans la main avec leurs homologues africains.

*Hannah Ryder est consultante, dirigeante de Development Reimagined, tandis que sa compatriote Ivory Kairo est une juriste réputée dans le monde des d’affaires.
@AB
Source: Magazine de l’Afrique

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