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L’Alphabétisation Linguistique en Mauritanie : Un Enjeu de Dignité et d’Inclusion

L’Alphabétisation Linguistique en Mauritanie : Un Enjeu de Dignité et d’Inclusion.

En Mauritanie, nombreux sont ceux qui n’ont pas été alphabétisés en arabe, langue devenue le seul vecteur de promotion sociale, d’accès à la fonction publique, à la justice, à l’enseignement supérieur et à la citoyenneté administrative. Cette situation soulève une question essentielle : que fait-on de ces citoyens ? Sont-ils condamnés à l’exclusion, à l’invisibilité, au silence institutionnel, simplement parce qu’ils n’ont pas été scolarisés dans une langue qu’ils ne parlent pas à la maison ?

Ce problème n’est pas marginal : il concerne des milliers de Mauritaniens, principalement issus des communautés non-arabophones – Peuls, Soninkés, Wolofs – dont les langues maternelles n’ont jamais bénéficié d’un véritable statut officiel ou d’un investissement national équitable. Pendant des décennies, l’école mauritanienne a privilégié l’arabe comme langue unique d’alphabétisation, reléguant les autres langues nationales à l’oralité, sans outils pédagogiques, sans reconnaissance institutionnelle. Pourtant, ces langues sont vivantes, riches, porteuses d’une mémoire collective, d’un patrimoine culturel et d’une manière d’être au monde.

Et ceux qui n’ont pas été alphabétisés en arabe ? Ils sont écartés des concours administratifs, privés d’accès à l’information étatique, incapables de se défendre en justice sans traducteur, marginalisés dans leur propre pays. Ce n’est pas une coïncidence : c’est le résultat d’un choix politique assumé, celui de faire de la langue un outil d’homogénéisation plutôt qu’un pont vers l’unité.

Comme le disait Paulo Freire, pédagogue brésilien : “Personne ne libère autrui, personne ne se libère seul : les hommes se libèrent ensemble dans la solidarité.” L’alphabétisation dans une langue que l’on comprend est une condition de la dignité humaine. Refuser à une partie de la population l’accès à cette dignité revient à institutionnaliser l’exclusion.

Le paradoxe est criant : alors qu’on proclame l’égalité de tous les citoyens, on impose un critère linguistique qui exclut une large frange de la population de la vie nationale. Un État qui veut être juste ne peut ignorer cette fracture. Il doit, au contraire, reconnaître les torts historiques, valoriser toutes les langues nationales et créer un système éducatif réellement bilingue ou plurilingue, qui permette à chacun d’apprendre à lire et à écrire dans sa propre langue, avant d’accéder aux autres.

La Mauritanie ne peut pas construire une citoyenneté pleine et entière sur une base aussi inégalitaire. Vivre ensemble, ce n’est pas imposer une langue unique, c’est offrir à chacun la possibilité de s’exprimer, d’apprendre, de comprendre, et de participer pleinement à la vie de la nation dans la langue qu’il maîtrise. L’unité ne se décrète pas ; elle se construit sur la reconnaissance, la justice et le respect de la diversité.

Sy Mamadou

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