La rumeur et le désert : fresque mauritanienne entre réalité et fantasmes
Une fresque immersive décrivant la Mauritanie à travers ses habitants face aux rumeurs de trafic d’armes. Du désert aux marchés, des camps de réfugiés aux mosquées, chaque personnage reflète la stabilité fragile du pays.
Dans une Mauritanie parcourue par la rumeur et les réalités du quotidien, cinq personnages incarnent la stabilité fragile du pays. Entre désert, marché, mosquée et routes commerciales, cette fresque explore la vérité derrière les fantasmes médiatiques.
La rumeur et le désert
Un matin de mars, à Nouakchott, les kiosques à journaux alignés sur l’avenue Kennedy affichaient une manchette tapageuse, reprise de la presse étrangère : « La Mauritanie, nouveau corridor des armes ukrainiennes ? » Les passants, habitués aux exagérations du monde extérieur, haussèrent les épaules, mais l’écho se propagea. Dans les cafés de la capitale, on commentait à voix basse, comme si la rumeur était un vent de sable : impalpable, mais irritant.
Au ministère de l’Intérieur, un haut fonctionnaire, costume sombre et lunettes fumées, rédigeait un communiqué ferme. Pour lui, ces accusations ne valaient pas plus qu’un chiffon de papier. Mais, loin de son bureau climatisé, la nouvelle avait déjà trouvé des résonances concrètes dans la vie des hommes et des femmes qui, sans le savoir, portaient la politique de leur pays sur leurs épaules.
Le sergent et le désert
À Fassala, poste avancé près de la frontière malienne, le sergent Ba s’apprêtait à partir en patrouille. Son pick-up cabossé, couvert de poussière rouge, peinait à démarrer. Autour de lui, quelques soldats, jeunes et maigres, ajustaient leurs kalachnikovs usées. Le sergent connaissait chaque dune, chaque acacia isolé, chaque campement nomade qui ponctuait ces immensités.
Lorsqu’il entendit, par la radio militaire, l’histoire des armes ukrainiennes, il lâcha un ricanement sec. « On dit que ça passe par ici ? Alors qu’on n’a même pas de carburant pour tenir deux jours de patrouille ! » Sa remarque, amère, résumait le décalage entre les fantasmes internationaux et la pauvreté matérielle du quotidien.
Aïcha et le marché
À Bassiknou, dans le tumulte du marché, Aïcha rangeait ses pagnes bariolés. Elle se souvenait du temps où, après la chute de Tombouctou, des familles maliennes affluaient, épuisées, troquant bijoux et armes pour acheter du mil et des dattes. Elle en avait vu des kalachnikovs, mais pas venues d’Ukraine : des armes usées, rouillées, qui changeaient de main comme n’importe quelle marchandise.
Quand on lui rapporta la rumeur, elle soupira : « Ils ne savent pas, là-bas, que nos marchés disent toujours la vérité. S’il y avait des armes nouvelles, nous les aurions déjà vues sur les étals. » Pour elle, le commerce était un miroir : on y lisait mieux la réalité que dans les articles de journaux.
Mohamed, enfant réfugié
Dans le camp de Mbera, Mohamed, quinze ans, suivait sa leçon d’alphabet sous une tôle brûlante. Il avait fui Tombouctou avec sa mère, laissant derrière lui une maison effondrée et un père disparu. Son cahier, jauni par la poussière, portait les premières lettres maladroitement tracées.
Lorsque son instituteur mentionna les accusations d’armes, Mohamed resta silencieux. Pour lui, la guerre n’était pas un sujet de presse, mais un souvenir de nuits ponctuées de rafales. La stabilité mauritanienne signifiait simplement ceci : pouvoir dormir sans craindre que le bruit des armes ne recommence.
Cheikh Mahmoud, l’imam
À Kiffa, dans une mosquée blanchie à la chaux, Cheikh Mahmoud prononçait son prêche hebdomadaire. Sa voix grave résonnait dans la salle surchauffée : « Quand le voisin tombe, disait-il, nous tombons aussi. » Ses fidèles, assis sur des nattes usées, hochaient la tête.
Pour lui, l’accusation étrangère n’était qu’un bruit lointain. Son rôle, quotidien, consistait à détourner les jeunes de l’appel des recruteurs radicaux. Il leur rappelait que la foi exige patience et solidarité, non violence. Son pouvoir n’était pas politique, mais il consolidait, sans discours diplomatique, le socle invisible de la stabilité mauritanienne.
Abdallahi, le chauffeur
Sur la route reliant Nouakchott à Nouadhibou, Abdallahi, chauffeur de camion, faisait gronder son vieux moteur. Son chargement : sacs de farine et caisses de poisson congelé. À chaque poste de contrôle, des gendarmes en uniforme poussiéreux inspectaient distraitement sa cargaison.
Quand on l’accusa, lui et d’autres routiers, de convoyer des armes, il éclata de rire : « Des armes ? Moi, je transporte du riz et du ciment. Les seules munitions que je vois, ce sont les factures du carburant ! » Son ironie portait en elle une vérité simple : la vie économique, avec ses flux de denrées, était la meilleure réfutation des fantasmes.
Ould Sidaty, le diplomate
À Nouakchott, dans un café aux murs défraîchis, Ould Sidaty, diplomate retraité, expliquait à de jeunes fonctionnaires l’histoire de la diplomatie mauritanienne. « Moscou, nous connaissons depuis 1965. Kiev, à peine. Mais nous ne choisissons pas selon les cadeaux, car il n’y en a pas. Nous choisissons selon les principes. » Sa voix voilée donnait aux mots une gravité que l’histoire semblait confirmer.
La fresque
Tous ces personnages, sans se connaître, formaient pourtant les fils d’une même toile. Le sergent Ba surveillait les pistes où pourraient passer des armes imaginaires. Aïcha lisait dans son marché l’état réel des flux régionaux. Mohamed incarnait la fragilité des enfants déplacés. Cheikh Mahmoud consolidait les esprits contre les dérives. Abdallahi continuait à nourrir les villes avec ses cargaisons. Ould Sidaty, enfin, rappelait que la diplomatie, loin des passions, se bâtit sur la mémoire et la constance.
Face à la rumeur étrangère, chacun d’eux, par sa vie ordinaire, offrait une réfutation silencieuse. Ensemble, ils composaient cette fresque invisible qui fait tenir debout la Mauritanie : un pays où la stabilité n’est pas proclamée dans les discours, mais vécue, chaque jour, dans les marchés, les routes, les camps, les mosquées et les frontières.
Dans ce Sahel où les vents déplacent les dunes comme les hommes déplacent les frontières, la sécurité n’est jamais l’affaire d’un seul État. Elle est une œuvre collective, fragile, humaine, où chaque existence contribue, comme une pierre dans une digue, à retenir le flot menaçant du chaos.
Ahmed Ould Bettar