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La Plénitude Culturelle : Défense de l’Identité et des Frontières de la Pensée

La Plénitude Culturelle : Indépendance, Insolence, Indifférence

Plénitude Culturelle
Une méditation puissante sur la singularité culturelle, la souveraineté des identités et le refus de l’assimilation mondiale. Abdallah Aboubekrine défend l’idée qu’un peuple ne survit qu’en préservant son espace, ses croyances, ses codes, ses émotions et sa mémoire collective, face aux civilisations tsunamiques qui cherchent à uniformiser le monde.

J’ai envie de refuser la culture du monde. Exactement comme j’interdis à des bourdons étrangers de se poser sur mon front. Comme je défends à une mouche étourdie de voltiger au-dessus de ma tête. Mon front et ma tête sont mon espace aérien. Et rien ne doit les violer. Nulles idées volantes ne peuvent fuser au-dessus de moi. Cela perturbe ma sécurité supérieure. Et ça déchire le voile sacré de mes convictions. De mes certitudes. Et de mon style de concevoir le monde.

Le vivre-seul me convient à merveille. Car de tout temps, j’ai travaillé sur mes tranchées de l’esprit. Celles qui me séparent de la pensée exotique. Celles où mes neurones, cachées aux bruits du monde, méditent en toute indépendance. S’adonnent à l’interaction pure avec le cosmos librement ressenti. Et avec l’humain complexe, perçu de mon œil autonome et compris avec ma souveraine intelligence. Ici, dans cette Mauritanie, les miens et moi, nous sommes un monde. Nous disposons de ce qu’il nous faut pour naître, pour vivre et pour mourir.

A bas les échanges culturels !

Que tombe le mensonge des passerelles intellectuelles entre les gens de la terre ! Les cultures du monde doivent-elles vraiment s’entremêler ? Et jusqu’à quelles limites ? N’oublions que rien n’est plus agressif qu’une civilisation d’hommes : Pour ne pas s’effondrer, les peuples ne fusionnent jamais de bon gré. Ne s’effleurent qu’avec la prudence des gladiateurs. Et ne s’approchent que pour définir la distance de séparation. Et les lois du vivre-à part.
L’autonomie quérulente circule dans les veines des communautés. Et les peuples voient le jour avec la pulsion de résister à l’assimilation. De combattre en défis existentiels les amitiés fusionnelles. Les échanges trop intimes avec les autres races. Les diversités belliqueuses gouvernent donc l’équilibre des humanités. Loin d’être une richesse commune, la dissemblance est un marqueur sacré de l’indispensable disharmonie interhumaine.
Je suis partisan de limites fermes entre les pensées des communautés. Je suis pour les colonies culturelles. Celles où chaque ensemble baisse les volets. Et tire sur l’arrivant. Je suis pour l’intégrité du style Beydane. Pour l’inviolabilité de la civilisation Poular. Pour l’intouchabilité de la mémoire Soninké. Et pour la complétude vénérée de la culture des Wolofs. A chaque tribu son prisme de regard. A chaque peuple son système de fierté. A chaque ethnie ses danses. Ses voix de chant. Ses futiles croyances. Ses peurs insoutenables. Et ses espoirs sacrés, enracinés dans leur logique inimitable.
Sans mes curiosités, je n’aurais jamais alourdi ma conscience, en apprenant l’existence de l’Existence. Je n’aurais jamais lesté, pour ainsi dire, mon fardeau de construire une vie compétitive. Je n’aurais jamais appris cette passion de m’inspirer. D’imiter des inconnus. De mesurer mon intelligence, fille de mon dénuement et de ma solitude, au jugement des peuples du loin. Ceux qui n’ont jamais été moi. Qui ne perçoivent ma sublimité. Et qui échouent fermement à me ressembler d’un seul coup.

Je déteste ce que font les lointains hommes !

Je suis indifférent aux idées de l’étranger ! J’ai horreur de ce qu’il mange. Je faillis chaque fois en essayant d’admirer l’accoutrement du reste du monde. Et je loupe sans cesse l’usage correct des petites répliques, des interjections et des mimiques glamours, importées pour être, le temps d’une mode, dans l’air temps : Il s’agit de ces mots sans origine qui envahissent le langage. Et de ces petits gestes, mignons ou coquets, que les gens branchés se précipitent à reproduire. Je ne veux être applaudi. Je ne veux être aimé. Je veux rester ici, inchangé. En compagnie de moi-même.
J’ai besoin de l’honneur d’inventer mes pas.
Je ne peux céder le monopole de mes phrases cultes. Je n’achèterai jamais de chemins de vie supplémentaires. Je refuse de voir ce que je ne vois pas encore. Et je coupe l’index qui ose me montrer un chemin de civilisation. Un itinéraire sécure vers le galimatias de cultures autres. Moi, homme des sables, libre dans mon vase clos, je m’interdis la ressemblance. Je refuse le copiage. Et je m’exténue pour élever mon mur, tout haut contre le chuchotis du monde. Contre la voix de la culture adverse. Contre la vocifération méchante des civilisations tsunamiques.
Rien dans cette vie n’est plus vital que la distance. Qu’elle soit aménagée par le différent langage. Entretenue par l’étendue géographique. Imposée par l’incompréhension. Ou maintenue par l’indifférence. L’éloignement protège contre les télescopages d’habitudes, des comportements ou des styles propres. Car l’acculturation est un assassinat de race. Le déracinement est un suicide de civilisation.
Les diversités culturelles sont les colonnes pures de l’Univers. Car l’humanité est typiquement plurielle. Et l’assimilation des peuples dénature la saine texture des dissemblances. Elle fait s’écrouler le monde, en le laissant reposer sur des piliers altérés. Pour sauver la terre, restons donc adversaires. Restons surtout ennemis. Ainsi, perdure le monde !
La multiculturalité ne rend pas le monde riche. Elle le met d’abord sous tension. Et la tension revigore la vigilance. Cette dernière fait voir le danger. Puis elle impose, pour éluder les chocs fatals, une distance entre les communautés. C’est ainsi que chaque ethnie préserve sa culture. Et qu’elle chasse, lucidement, le spectre d’une suprématie d’entité.
Le vivre-ensemble n’a de sens qu’autant que l’échange épargne les fondements de culture. Et reconnaît, au nom de la divergence, le droit immuable à l’intégrité civilisationnelle.
Moi, je suis le garant féroce de ma parcelle d’humanité. J’y préserve, ongles en l’air, ma différence de culture. Et la singularité de mon peuple. J’y lutte arme en poing contre les métastases de l’hégémonie des supercultures. Contre leur lumière maléfique, bondissant sur l’écume galopante de torrents énervés.
Sans Internet, je n’aurais jamais succombé au charme de Jay Lo. Sans Paramount Pictures et MGM, je n’aurais jamais été jaloux de Brad Pitt. Sans la SOMELEC et Samsung, mon monde prendrait fin à mille mètres, tout près, à l’horizon immédiat. A mes yeux, le style de l’autre n’aurait jamais rien valu. Car autrui, autrefois, n’était rien.
Aujourd’hui, j’entends les apartés de la planète. J’écoute le cri pressant des civilisations enflammées. Toute la terre ne cesse de m’appeler. Mais qui portera en mon absence le boubou gominé ? Qui dira « je t’aime » à Mariem ? Cette fille noire éperdue, en voile froissée, égarée sur les dunes, éblouie par les feux ? Qui prendra le thé de seize heures, en voyant se noyer, dans l’océan turquoise, le soleil de Nouakchott ? Qui dira « bonjour », mieux que moi, aux frustrés du feu rouge ? Quelle oreille, sauf la mienne, osera réceptionner, dans l’art juste, le miel fin de la voix de Garmi ?
Qui dira de bon cœur que le riz était bon ?
Qui viendra peupler la mosquée du coin ?
Qui rira à pleine gorge lorsqu’un enfant de brousse vient à dire ses anecdotes insipides ?
Qui sera là pour accueillir, sans rouspéter, le feu doux du vent de mai ?
Qui éclatera de joie aux premières gouttes de la pluie de juin ?
Je récuse tous les appels de la terre. Je n’ai jamais besoin du monde. Je suis le seul monde. Je vis de mon unique culture. Je suis le vigile de la solitude choisie. Et je suis le faiseur de ma liberté. Alors, je m’enferme et je reste. Indifférent, impoli et satisfait.

Abdallah Aboubekrine

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