« La France a une réputation à perdre » : la presse étrangère s’inquiète d’une « dérive vers la répression »


Après le passage à tabac d’un producteur de musique noir à Paris par des policiers, certains médias internationaux font le parallèle avec la mort de George Floyd aux Etats-Unis.

Que ce soit à l’occasion des manifestations de « gilets jaunes » ou lors d’« incidents isolés plus récents », « les images de violence policière sont devenues tristement familières ces dernières années » en France, constate le quotidien britannique The Financial Times dans un éditorial.

Le passage à tabac d’un producteur de musique noir, Michel Zecler, par des policiers dans le 17e arrondissement de Paris, a mis le feu aux poudres.

« La tempête souffle désormais partout (…) et elle ne semble pas se calmer », juge ainsi le titre espagnol El País. En pleine polémique autour de la proposition de loi « sécurité globale » – notamment l’article 24, qui prévoit de pénaliser jusqu’à un an de prison et 45 000 euros d’amende l’usage d’images du visage des forces de l’ordre « dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à [leur] intégrité physique ou psychique » –, la vidéo de Loopsider a choqué au-delà des frontières de l’Hexagone.

« Avant que celle-ci ne devienne virale sur les réseaux sociaux, les agents [de police] ont dit que Zecler les avait en fait attaqués et qu’il résistait à leur arrestation » – l’homme ne portait pas de masque, obligatoire à Paris dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19 –, rappelle le média indépendant MintPress News. Jusqu’à la transmission des images de vidéosurveillance par l’avocate de M. Zecler au parquet de Paris, le producteur faisait l’objet d’une enquête pour « violences sur personne dépositaire de l’autorité publique » et « rébellion », classée depuis. La loi « sécurité globale » pourrait être le début d’un « moment George Floyd » en France, estime le site. Le quotidien belge Le Soir dresse aussi un parallèle avec le sort de cet Afro-Américain, tué fin mai lors d’une interpellation brutale aux Etats-Unis et dont la mort s’était accompagnée d’une vaste mobilisation mondiale contre les violences et les préjugés des forces de l’ordre.

« Dysfonctionnements structurels »


En juin, la plate-forme d’informations Euractiv se faisait l’écho d’un rapport de 2019 du Réseau européen contre le racisme (ENAR) sur les crimes à motivation raciale et le racisme institutionnel : ces infractions sont en augmentation sur le Vieux Continent, mais ne sont souvent pas signalées. « Pour les victimes de ces crimes, les mauvais traitements, les abus et les violences de la part de la police sont un facteur déterminant dans la décision de ne pas les signaler aux forces de l’ordre », rapportait alors l’étude.

Quatre policiers ont été mis en examen après le passage à tabac de Michel Zecler, dont trois pour « violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique », avec plusieurs circonstances aggravantes, dont « des propos à caractère raciste ». Pourtant, déplore Le Soir, « en maintenant à son poste le très controversé préfet de police de Paris, Didier Lallement, [le ministre de l’intérieur] Gérald Darmanin laisse entendre que les faits n’ont été commis à ses yeux que par des brebis galeuses qui ne mettent pas à mal l’institution policière ». Une ligne « individualiste » que le ministre a tenue, lundi 30 novembre, lors de son audition devant la commission des lois de l’Assemblée nationale.

Mais, pour le journal belge, « ce sont pourtant des dysfonctionnements structurels qui sont en cause. Déjà lors de la crise des “gilets jaunes”, à l’hiver 2018-2019, la police avait été critiquée pour sa doctrine du maintien de l’ordre et pour de violents dérapages dans les manifestations ».

Lundi, M. Darmanin était d’ailleurs invité à réagir devant les députés « sur les conditions dans lesquelles les forces de l’ordre ont eu recours à la force lors de différents événements survenus à Paris depuis la manifestation du 17 novembre », date de la première mobilisation contre la proposition de loi « sécurité globale ». Parmi lesdits événements : l’évacuation brutale d’un camp de migrants installé place de la République ou encore la Marche des libertés, organisée samedi, et lors de laquelle un photographe syrien a reçu un coup de matraque sur le visage.

Pour le quotidien américain The New York Times, le texte de loi « sécurité globale » et le projet de loi sur les « séparatismes », présenté quelques mois auparavant, « soulignent ce que les critiques ont appelé une dérive alarmante vers la répression dans la politique du gouvernement [français] ». Ces textes s’inscrivent dans un contexte où « la France a vécu trois des cinq dernières années en état d’urgence » et où la gestion de l’épidémie est coordonnée par un conseil de défense « qui n’est pas très transparent et prend ses décisions en dehors des procédures normales des pouvoirs exécutif et législatif », remarque de son côté le journal allemand Frankfurter Rundschau. « La nouvelle loi [sécurité globale] est dangereuse pour le gouvernement de Paris, qui a une réputation à perdre [en Europe et dans le monde]. L’application de l’article [24] pourrait l’amener à se retrouver devant la Cour européenne de justice », ajoute Deutsche Welle.

« Le désir d’un Etat protecteur »


A moins de deux ans de l’élection présidentielle, l’exécutif est en posture d’équilibriste. « L’approche stricte de M. Macron en matière de sécurité, d’immigration et d’extrémisme islamiste aliène les anciens partisans du centre gauche. Mais s’il critique trop la police, il risque de mettre en colère les forces de sécurité débordées qui travaillent en état d’alerte élevé contre le terrorisme, et les électeurs de droite qui se sont montrés favorables à sa politique », résume le titre irlandais The Irish Times.

Pour de nombreux titres étrangers, l’attitude récente du gouvernement témoigne d’un basculement à droite : « M. Macron a perdu la confiance de nombreux électeurs de gauche qui ont contribué à le propulser vers la victoire en 2017. Ses chances de réélection dépendent de l’élargissement de son électorat à la droite de l’éventail politique », estime ainsi The Financial Times.

D’autant que la France est confrontée, selon le New York Times, à une « vague nationale d’anxiété », renforcée par l’assassinat du professeur Samuel Paty, le 16 octobre, pour avoir montré à ses élèves des caricatures du prophète Mahomet, ou encore l’attaque d’une basilique de Nice, à quelques jours de la Toussaint, qui a fait trois morts.

Reste que si « la pandémie, la crise économique et une série d’attentats terroristes ont, à juste titre, créé le désir d’un Etat protecteur, protéger la police de ses propres excès n’est pas la bonne façon de l’assurer », argue The Financial Times.

Le Monde

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page