Kaédi : quand les décisions humaines aggravent les risques naturels
Kaédi : quand les décisions humaines aggravent les risques naturels
Environnement – risques naturels
Kaédi traverse une nouvelle fois une épreuve difficile. Mais cette fois-ci, le danger ne vient pas uniquement de la montée habituelle des eaux du fleuve. Ce sont les décisions humaines, prises sans vision, sans étude d’impact, qui exposent aujourd’hui une zone jusque-là épargnée : Dar Selam Wendame. Cette partie de la ville, historiquement hors de portée des crues, subit aujourd’hui de plein fouet les conséquences d’une urbanisation anarchique et irresponsable.
Ce qui se passe aujourd’hui à Kaédi n’est pas un simple effet des intempéries. C’est le résultat direct d’un enchaînement de choix politiques et administratifs déconnectés des réalités environnementales et du bon sens. Des terrains situés à proximité des magasins du CSA et de l’aéroport, connus pour être des zones basses et inondables, ont été distribués à des personnes influentes, sans étude sérieuse, sans vision à long terme. Ces nouvelles constructions, érigées dans la précipitation et l’anarchie, ont modifié la topographie locale, bloqué les voies naturelles d’écoulement des eaux et aggravé les risques pour les quartiers voisins.
Pire encore, pour se protéger, ces nouveaux occupants installent autour de leurs maisons des digues et des barrières qui détournent les eaux vers d’autres zones habitées. Le résultat est cruel : là où des familles vivaient en sécurité depuis des décennies, l’eau s’est invitée sans prévenir, emportant avec elle biens, espoirs et parfois la dignité de celles et ceux qui n’avaient rien demandé. L’entrée goudronnée de la ville, déjà fragilisée, est aujourd’hui obstruée par des ordures et des ouvrages mal conçus. Le pont qui devrait faciliter le passage de l’eau est devenu un point de blocage, transformé en piège à inondation.
Et pourtant, des solutions existaient. Les habitants se souviennent encore du système mis en place par Africa 70, qui permettait de drainer les eaux de cette zone vers le fleuve. Ce système fonctionnait. Il protégeait la population. Mais il a été abandonné, laissé à l’abandon comme tant d’autres initiatives de bon sens sacrifiées au nom d’intérêts privés et de décisions à court terme. Aujourd’hui, on paie le prix de cette négligence.
Ce qui se passe à Kaédi est inacceptable. Il est temps que les autorités prennent leurs responsabilités. Il ne suffit pas d’être présents après la catastrophe. Il faut agir avant. Anticiper. Protéger. Planifier. Il est urgent de mettre fin à la distribution clientéliste de terrains dans des zones sensibles. Il est urgent d’imposer des études d’impact environnemental avant toute construction. Il est urgent de repenser l’aménagement urbain dans une logique de résilience et de justice sociale. Ce ne sont pas les populations vulnérables qui doivent subir les conséquences des erreurs commises par ceux qui ont le pouvoir.
Kaédi est déjà une ville vulnérable par sa position géographique. Elle n’a pas besoin que des décisions humaines viennent aggraver son sort. La menace permanente du fleuve est déjà suffisamment lourde à porter. Aujourd’hui, c’est l’autre moitié de la ville, jadis considérée comme sécurisée, qui sombre dans la crise. Pas à cause du fleuve. Mais à cause de l’homme. À cause d’un système de gouvernance foncière qui privilégie l’influence au détriment du bon sens, du respect de la nature et de la sécurité collective.
Face aux dérèglements climatiques, il faut une réponse radicalement différente. Une gouvernance responsable, transparente, orientée vers l’intérêt général et non vers la satisfaction d’intérêts privés. Kaédi mérite mieux. Ses habitants méritent mieux. Ce qui se passe aujourd’hui ne doit pas se répéter demain. Il ne suffit pas de constater. Il faut corriger, réparer, prévenir. C’est une question de justice. C’est une question de dignité. C’est une question de survie.
Mohamed BNEIJARA
Source: leclairage.info