
Entre traditions ancestrales et justice étatique, la Mauritanie évolue dans un clair-obscur judiciaire où les juges officiels peinent encore à s’imposer comme arbitres pleinement légitimes. Longtemps reléguée derrière les mécanismes de conciliation tribale et religieuse, la justice formelle intervient le plus souvent en dernier recours, lorsque les équilibres sociaux vacillent. Pourtant, face à l’érosion progressive des médiations coutumières et à la complexification des conflits fonciers, familiaux et communautaires, le rôle des magistrats devient central. Garants de l’égalité devant la loi et de la cohésion nationale, ils incarnent aujourd’hui un pilier fragile mais indispensable pour préserver la paix sociale et renforcer l’État de droit en Mauritanie.
Les juges mauritaniens, pilier discret de la justice formelle, méritent une attention accrue dans une société où les conflits tribaux et coutumiers menacent encore la paix sociale.
Leur rôle, souvent éclipsé par les traditions ancestrales, gagne en importance face à l’échec croissant des conciliations locales, appelant à un éveil collectif pour renforcer leur indépendance et leur légitimité.
Mon opinion explore cette dualité judiciaire pour sensibiliser les citoyens, les autorités et la société civile à la nécessité d’une réforme profonde.
Dans la Mauritanie d’aujourd’hui, plus de 80% des litiges – qu’ils opposent des tribus pour des pâturages dans l’Assaba ou dans la vallée ou des familles pour des héritages – trouvent une résolution via la justice coutumière.
Chefs de tribu, imams et notables privilégient la diya, cette compensation collective qui restaure l’honneur sans emprisonner, évitant ainsi l’escalade de vendettas potentiellement meurtrières. Les juges officiels, qâdîs appliquant la charia ou magistrats des tribunaux de moughataa, n’interviennent qu’en dernier recours : quand la parole des anciens échoue, quand des mineurs sont victimes ou quand des crimes graves exigent une sanction étatique.
Cette marginalisation n’est pas un hasard, mais le reflet d’une société où la loyauté tribale prime sur l’État, rendant les juges des « étrangers » perçus comme distants.
Le rôle croissant des juges comme garants d’équité. Pourtant, les juges émergent comme recours ultime, imposant des décisions contraignantes fondées sur le droit positif et la charia. Dans les disputes foncières du nord aride ou pastorales du centre, ils osent contredire les hiérarchies tribales figées, affirmant l’égalité devant la loi contre les privilèges ancestraux – un acte courageux qui défie les codes sociaux.
Ils s’appuient sur les Mouslih, ces comités de conciliation hybrides rattachés aux tribunaux, pour fusionner tradition et modernité : une médiation informelle aboutit à un jugement formel, prévenant la violence intertribale qui a autrefois ensanglanté le pays.
Cet hybride illustre une évolution : les juges ne sont plus de simples exécutants, mais des architectes de cohésion nationale.
Défis profonds et légitimité fragile.
Malgré ces avancées, les juges traînent un boulet : une légitimité contestée. 64% des Mauritaniens se tournent vers la police, les traditions ou l’auto-justice plutôt que les tribunaux, citant partialité tribale, corruption politique ou lenteur bureaucratique.
Dans un pays où les nominations passent par un Conseil supérieur de la magistrature influencé par l’exécutif, les soupçons de favoritisme minent leur autorité, perpétuant une justice à deux vitesses. Leur rôle reste précaire : soumis à des pressions sociales intenses – menaces familiales, boycotts communautaires –, ils peinent à équilibrer indépendance et réalité tribale, aggravant les inégalités pour les plus vulnérables.
Appel à l’éveil des consciencesIl est temps que chaque Mauritanien – berger du Hodh, pêcheur du Trarza, ou agriculture du Gorgol ou citadin de Nouakchott – reconnaisse les juges non comme ennemis de la tradition, mais comme alliés essentiels pour une paix durable.
Des réformes s’imposent : formation accrue au droit coutumier, nomination transparente par des pairs et société civile, renforcement des Mouslih pour une justice hybride inclusive.
Citoyens, interpellez vos élus ; autorités, libérez la magistrature des chaînes politiques ; communauté internationale, soutenez ces transformations. Ensemble, transformons cette justice fragile en rempart contre la division, pour une Mauritanie unie où la loi transcende la tribu.
Abdoulaziz DEME
Le 20 décembre 2025.



