Interview le Calame: Me Lô Gourmo Abdoul sur le dossier de la décennie
Me Lô Gourmo Abdoul, membre du collectif de défense des intérêts de l’Etat dans le dossier de la décennie : ‘’Après le silence méprisant d’Aziz, voilà la seconde étape : celle du bavardage inconsistant et des menaces et tentatives de chantage’’
Le Calame : L’ancien président, qui avait choisi de garder le silence face aux enquêteurs de la CEP, des limiers de la police économique et devant la justice est sorti de son silence, à travers une lettre ouverte adressée à l’opinion mauritanienne et une interview dans Jeune Afrique.
On se souvient que l’un de ses conseils avait prévenu, il y a quelque temps que le jour où leur client décidera de parler, c’est toute la République qui va trembler. Ce moment serait-il arrivé ? Pourquoi Ould Abdel Aziz a-t-il choisi de rompre le silence, maintenant ? Qu’ont apporté ces sorties médiatiques ?
Me Lô Gourmo Abdoul : Ould Abdel Aziz, dès le départ de cette affaire judiciaire, a agi comme s’il était le maître du monde ! Habitué aux coups de force et à l’obéissance aveugle de son entourage, il avait fini par croire qu’il pouvait dire et faire tout ce qu’il voulait, en toute impunité. Ainsi s’expliquait son silence qui était moins l’expression d’une ligne de défense en justice que celle d’un profond mépris à l’égard de l’ensemble des institutions de la République et de ceux qui en ont la charge. Le mépris des gens : voilà sa profonde maladie, une pathologie incurable. Sa « lettre ouverte », sa dernière interview à Jeune Afrique comme ses précédentes sorties médiatiques sont toutes de la même facture : une suite d’injures, de contrevérités et d’insinuations calomnieuses ou d’accusations diffamatoires à l’égard de tout le monde, de toute la classe politique inclusivement, particulièrement l’opposition démocratique qu’il a opprimée et honnie pendant plus d’une décennie, qui, cependant a résisté à tous ses coups bas et a pu sortir la tête haute, de toutes les campagnes d’ « encerclement et d’extermination » qu’il n’a jamais cessé de mener contre elle. Après le silence méprisant, voilà la seconde étape : celle du bavardage inconsistant et des menaces et tentatives de chantage. « Retenez moi sinon je vais parler et le monde va s’écrouler» ! Justement, tout le monde, pouvoir comme opposition, le parlement, la police, la justice, l’homme de la rue…tout le monde demande qu’il parle ! Souvenez-vous de ses premières sorties médiatiques, au tout début du processus d’enquête parlementaire. M. Ould Abdel Aziz n’avait-il pas nargué les députés en les exhortant d’aller jusqu’au bout de leur démarche tout en insinuant que, les connaissant « tous », ils n’oseraient pas le faire ? Il avait DEJA promis de faire des révélations sur tout et sur tout le monde. La résolution de l’Assemblée qui l’accable a été transmise au parquet à la quasi-unanimité du Parlement. Le monde n’a pas été ébranlé pour autant. Et lui-même a fini par interrompre la petite guérilla juridique très pénible à laquelle il avait contraint ses avocats, en acceptant finalement de parler, sans se cacher derrière le fameux article 93 favori de la constitution. Pourquoi ? Parce que le coup de bluff de ce pokériste invétéré, semble-t-il, n’a pas marché. Donc, M. Ould Abdel Aziz n’a pas « décidé » de parler : il a lamentablement échoué à garder le silence face à l’énormité du poids des accusations, la gravité des charges qui pèsent sur lui et l’évidence des preuves qui les accompagnent. En fait, il a voulu faire du « Jaay doole » (jeu de muscles) comme disent les Olofs. Il a échoué. Voilà ce que lui apportent ses différentes sorties médiatiques dont chacune montre jusqu’à quel point le « Roi est nu » et l’urgence pour lui de sortir de sa bulle pour faire face à son destin judiciaire…
Beaucoup de mauritaniens ne comprennent pas pourquoi Ould Abdel Aziz se permet de narguer le pouvoir de son successeur Ould Ghazwani. L’opinion se demande si le pouvoir n’a pas peur de lui, s’il n’a pas lui aussi des choses à se reprocher pour avoir travaillé avec lui pendant plus de dix ans. Des sceptiques vous diront même redouter un complot des deux hommes sur le dos des mauritaniens. Comprenez-vous ces interrogations ?
Ne s’exprime ainsi que celui qui ignore l’origine et les méandres du processus d’enquête parlementaire et de ses suites actuelles. Au début, lorsque la demande d’enquête parlementaire a été déposée à l’Assemblée par les quelques députés de l’opposition, beaucoup de monde était sceptique quant à ce qui en sortirait. Beaucoup de thèses complotistes ou simplement fantaisistes furent lancées dans une opinion publique qui ne connaissait aucun précédent de ce genre sous nos cieux. L’opposition avait placé la barre haute et avait interpellé le nouveau chef de l’Etat sur son éthique de respect de ses engagements de transparence dans la gestion des affaires. L’attitude de M. Ould Abdel Aziz presque au même moment, par sa suffisance, son manque de discernement à l’égard de ses propres amis ou alliés du camp du pouvoir donnera de la consistance à l’initiative de l’opposition. Il n’y avait aucune raison pour que les députés de « sa » majorité le suivent alors même qu’il les abreuvait d’insultes et les accablaient d’insanités au quotidien. De la même manière que personne n’a comploté (sinon lui-même par son attitude cavalière contre eux !) pour amener les sénateurs de son propre camp à leur vote de défiance à son égard, de la même manière également il a « libéré » les consciences des uns et des autres vis-à-vis de lui, à commencer par « ses » députés. Lui-même révèle dans sa dernière interview à Jeune Afrique, comment il pouvait être insupportablement arrogant à l’égard même d’un Chef d’Etat en exercice et, de surcroît, un compagnon d’armes de longue date !
Au vu de ces réalités tangibles, comment ne pas comprendre la gravité de ce qui arrive aujourd’hui à un ancien Chef d’Etat qui pourrait bien entrer dans notre histoire par la petite porte de derrière… ?
Pour le reste, j’ai la conviction que M. Ould Abdel Aziz bluffe et pousse les mauritaniens au doute. Pour rien. Ou alors, qu’il parle ! On verra bien si la terre va trembler…
Dans ces différentes sorties, Ould Abdel Aziz charge le pouvoir, le qualifiant de corrompu, de fossoyeur de la démocratie et de l’unité nationale, mais nie toutes les charges portées contre lui, ses proches et ses anciens collaborateurs ; il continue à contester la légalité de la CEP et toute la procédure donc. Que vous inspire cette salve ?
La seule voie de défense possible pour les défenseurs de M. Ould Abdel Aziz est celle de l’absurde ! Contester tout, créer la confusion dans l’esprit des gens en répétant contresens et non-sens juridiques en rupture avec toute logique, toute rationalité. Ainsi, pour soigner sa fuite en avant et refuser de répondre aux demandes de la commission d’enquête parlementaire, l’ancien Chef de l’Etat a amené ses avocats à développer une thèse que nul juriste ne peut sérieusement défendre : à savoir que la Commission d’enquête parlementaire est inconstitutionnelle puisqu’elle n’existe que dans le Règlement de l’Assemblée et non …dans la constitution ! Que donc toute structure, instance, organe, institution ou entité qui ne figurent pas dans la constitution sont invalides, illégaux, inconstitutionnels. Cette thèse incroyablement absurde a été encore défendue avec un air faussement convaincu, par M. Ould Abdel Aziz dans sa dernière interview.
Quant aux accusations qu’il porte contre le pouvoir actuel à propos de la corruption, de la démocratie et de l’unité nationale, on peut dire qu’on est là, en plein dans l’ironie de l’histoire, au sens presque exact de la formule. Dans chacun des domaines cités, nous ne sortons toujours pas du système qu’il a tricoté de ses mains pendant plus d’une décennie et qui est précisément aux antipodes de ce qu’il prétend avoir combattu ou instauré. Jamais la corruption n’a été aussi intense que sous son régime, dépassant de loin, en poids et en hauteur, la Kedia d’Idjil. Jamais la démocratie n’a été autant violentée, ni l’unité nationale autant déchirée. Putschiste multirécidiviste, ayant tenu en otage la République grâce à un Basep transformé en une simple milice au service de ses humeurs et de ses ambitions. Un affairiste monopoliste qui a bâti un empire économique et politique clanique, ethnocentrique et raciste dont la persistance menace la survie de notre nation. Voilà ce que fut le régime de M. Ould Abdel Aziz. Voilà ce dont on a encore du mal à en sortir et dont il faut pourtant sortir pour exorciser nos maux et prendre le chemin de la vraie démocratie, de l’unité nationale authentique et du développement durable et partagé.
Dans ces adresses, l’ancien président se plaint de n’avoir pas accès à son dossier. Qu’en est-il à votre avis ?
Je ne sais vraiment pas si M. Ould Abdel Aziz a accédé ou non à son dossier. Mais je sais qu’il a refusé de participer à toute procédure d’enquête et rejeté toute démarche de coopération avec les autorités compétentes (parlementaires et policières) pour répondre aux questions et faire valoir et sauvegarder ses droits. C’est la ligne de défense choisie et annoncée avec un grand tapage par ses avocats et par lui-même. Cette ligne est-elle cohérente avec la préoccupation de ce que pourrait contenir un « dossier » ? L’accès à son dossier est un droit impératif de procédure et est un préalable au principe du contradictoire, fondement de tout procès équitable. Reste à savoir si la revendication de cet accès au dossier ne constitue pas une sorte de fourberie juridique dès lors que l’on a soi-même refusé d’y accéder, en se murant dans le rejet a priori, le silence tapageur et le déni de l’évidence….
Propos recueillis par Dalay Lam
le Calame