Quand le ciel se fissure : les inondations en Mauritanie entre chaos climatique et absurdité quotidienne
Inondations, routes effondrées, champs noyés : la Mauritanie vit une saison des pluies dévastatrice, entre dérèglement climatique et absurdités administratives. Enquête réaliste et troublante sur un pays pris au piège de la boue et de l’oubli.
Reportage / Enquête
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Le vent avait changé d’odeur.
Ce n’était plus l’aridité familière, la poussière brûlée, ni même cette chaleur qui vous colle à la peau comme une seconde punition. Non. C’était l’odeur lourde, dense, presque métallique, d’un ciel qui saigne lentement. Les premières gouttes sont tombées comme un avertissement. Puis le rideau d’eau s’est abattu. Et avec lui, l’ordre des choses a chaviré.
Des routes vers nulle part
Sur l’axe Nouakchott – Rosso, un camion citerne s’est enfoncé jusqu’au châssis. Il ne bouge plus. Des enfants rient autour de lui, lancent des cailloux dans les flaques géantes qui ont avalé la route comme un vieux conte oublié. Chaque année, la chaussée se dissout un peu plus, avalée par des pluies qui ne préviennent plus, qui ne respectent plus les saisons.
Les routes sont devenues des énigmes. On avance sur un bitume qui n’existe que par intermittence, entre les crevasses et les nappes d’eau stagnante. Il y a cette voiture qui semble flotter, abandonnée, son capot ouvert vers le ciel comme une bouche implorant. Des chèvres broutent les bords d’un trottoir submergé, comme si tout cela était normal.
Mais rien ne l’est.
L’agriculture noyée, les espoirs dissous
À Boghé, un vieil agriculteur — qu’on appellera Ahmed, parce que son vrai nom est devenu illisible sur sa carte d’identité humide — regarde son champ comme on regarde un cadavre. Le mil, le sorgho, l’espoir : tout est parti. Les pluies ont lessivé la terre, et avec elle, les semences, les engrais, les promesses.
« Ce n’est plus la saison des pluies », dit-il, le regard dans le vide. « C’est la saison du chaos. »
Ce chaos a un goût amer, celui des récoltes perdues, mais aussi celui d’un cycle devenu fou. En juillet, il n’a pas plu. En août, il pleut sans fin. Les rivières débordent sans élégance. L’eau ne nourrit plus. Elle détruit.
Des experts, assis dans des bureaux climatisés à Nouakchott, parlent d’« extrêmes climatiques », de « changements de régimes hydrologiques ». Mais dans les champs, ce sont des silences boueux qui parlent. Et des visages qui ne comprennent plus le langage du ciel.
Quand l’eau pourrit les fondations
À Dar Naim, des maisons se sont effondrées sans bruit. Elles se sont couchées, comme épuisées. Le ciment n’a pas tenu. La latérite s’est transformée en glaise, puis en piège. Dans certains quartiers, les murs sont désormais inclinés, les portes ne ferment plus. Les habitants dorment à moitié, un sac sur le dos, prêts à fuir si la pluie revient.
Mais fuir où, exactement ?
Les quartiers de réinstallation, construits à la va-vite dans le désert, n’ont jamais eu d’égouts. L’eau s’y installe comme une invitée impolie. Elle stagne. Elle pue. Elle attire moustiques, maladies, souvenirs moisis.
Des femmes vident leurs maisons avec des seaux rouges, comme si vider un océan était possible.
L’absurde comme quotidien
Un jour, dans la vallée du fleuve, un poisson a été retrouvé dans une cour d’école. Personne ne sait comment il est arrivé là. Les enfants l’ont regardé comme un miracle. Les adultes, eux, n’ont pas ri. Car il n’y a plus rien de drôle dans cette pluie qui transporte le fleuve jusqu’aux classes.
Dans une mairie, un plan d’urgence a été photocopié sans encre. Un fonctionnaire dort sur sa chaise, pendant qu’un rat nage dans la pièce voisine. Le maire, lui, est parti « en mission ».
Le ministère du Climat — ou de ce qu’il en reste — publie un communiqué laconique : « des mesures seront prises ». Mais lesquelles ? Contre quoi ? Contre un ciel devenu fou ? Contre les digues invisibles de l’indifférence ?
La Mauritanie, entre eau et oubli
Il y a quelque chose de sinistre dans cette pluie qui ne lave rien. Elle tombe, elle abîme, elle efface. Les cartes géographiques ne suivent plus. Les pistes anciennes deviennent des marécages. Les frontières entre villes et campagnes se noient dans la boue.
Et pendant ce temps, le pays continue. Comme s’il marchait en équilibre sur un fil trempé.
Le berger cherche ses bêtes. L’enseignant essaie de rallumer l’électricité. Le journaliste prend des notes dans un carnet trempé. Et le ciel… le ciel continue de tomber.
Épilogue provisoire
Le soir, dans les quartiers sombres de Nouakchott, on entend les grenouilles chanter. Leurs voix sont étrangement belles. Comme si, quelque part dans cette cacophonie humide, elles détenaient encore une forme de sagesse.
Ou bien peut-être qu’elles rient.
De nous.
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